Les carrefours migratoires mondiaux.

by Responsable éditoriale | 06.11.2013 09:57

La « moral area », une clef pour analyser les continuités sociales.

Une « moral area »[1][1], ou « zone de mœurs », est une notion proposée par Robert Ezra Park, un des fondateurs, vers 1920, de l’École de Chicago de sociologie et anthropologie urbaines. Elle désigne une conjonction imprévue des temps sociaux, des lieux, des mélanges de populations, généralement nocturnes, susceptible de transformer les rapports sociaux tels qu’ils s’exposent lors des relations normées, généralement diurnes. C’est le Chicago du début du 20e siècle qui posait la question : comment une accumulation/juxtaposition humaine, économique, culturelle, aussi hétéroclite que la capitale du Michigan, faisait-elle ville ? Comment parvenait-elle à constituer une métropole aux échanges d’une grande cohésion structurelle ? Les comportements publics dérogatoires au « bon ordre diurne », comme, à l’époque, la prostitution, les jeux d’argent, les consommations d’alcools en temps de prohibition, etc. provoquaient, la nuit tombée, grâce aux mobilités urbaines et périurbaines, aux brassages d’habitants aux profils contrastés, des proximités et des mélanges cosmopolites[2][2] dont semblait bénéficier, malgré leur nature apparemment immorale, déviante, le fonctionnement diurne des institutions. L’observation empirique découvrait là une mise en œuvre de théories du fonctionnement social du philosophe du 19e, Friedrich Hegel[3][3], et du sociologue Georg Simmel[4][4], qui ont l’un et l’autre tenté de penser l’unité du peuple allemand, dispersé par l’histoire de la Mitteleuropa, comme un ensemble cosmopolite aux composantes solidarisées par la langue commune. Selon eux, les approches usuelles de la « rationalité fonctionnelle » négligent une troisième dimension du changement social, souvent occultée par des débats politiques binaires, rapportés par la presse sur le ton de l’indignation et sur des bases idéologiques et statistiques. Cette troisième dimension de la dialectique du changement, rassemblant « l’encore-enfoui », le « non admis »[5][5] des comportements collectifs humains, serait déterminante pour comprendre les processus de changement. Protégée, voire masquée, par l’ordre officiel « de-ce-qui-peut-s’exposer », elle en devenait d’autant plus redoutable. Pour le dire trivialement, dans le style des pionniers de l’École de Chicago, le partage nocturne du goulot d’une bouteille de whisky de contrebande dans les années 1920-30 par le dirigeant d’entreprise avec son boy, que la mobilité de l’un depuis sa villa et de l’autre depuis son taudis permettait sous l’égale injonction du même désir[6][6], ce comportement-là était garant du bon ordre diurne. Le boy déploie alors l’ombrelle sur la tête du cadre à l’entrée d’un immeuble d’affaires, sans partage du tapis rouge, et la banque garnissant ses coffres-forts de leurs activités, diurnes comme nocturnes : argent des paris et fraudes nocturnes accumulés par les banques et redistribués pour l’efficience des échanges diurnes-officiels. Il en allait de même pour quantité d’autres comportements sociaux, présentés comme antagoniques, opposés, selon la bonne morale, mais complémentaires et en continuité, selon nos anthropologues… Multiplions cela par les nombreuses opportunités, et leurs moments[7][7], sans oublier la circulation de l’argent, en œuvre dans la grande métropole et nous comprendrons, par exemple, l’influence de l’immigrant pauvre de lointaines contrées. Cette influence était ethnique le jour, cosmopolite la nuit, autour de jeux d’argent incertains, mais hautement productifs, ou encore dans le cadre des économies souterraines contributives à l’économie générale. Bref, un monde fait de continuités dès lors qu’on le libère des interdits de la bonne morale. Postulons que la description de Chicago de l’époque est exportable : la notion de moral area, ou zone de mœurs, demeure alors opératoire, à condition d’en revoir les éléments constitutifs au fur et à mesure du travail de l’histoire et des contextes. La mondialisation, ses mobilités et ses réseaux, dessinent des configurations territoriales étendues en moral areas originales.

Transmigrants et économie mondiale de « l’entre pauvres » ou « poor to poor ». Le colportage contemporain comme moyen de tracer la route.

Les migrants internationaux pauvres ont intégré le refus d’hospitalité des nations riches. Un grand nombre d’entre eux — autour de deux cent mille annuellement pour la France, six cent mille pour l’Europe — ne se présentent plus à nous comme é- ou immigrants, mais comme transmigrants[8][8]. En perpétuels mouvements entre nations, et le plus souvent de chez eux à chez eux, ils sont devenus les colporteurs[9][9] du capitalisme marchand moderne. Qui serait plus qualifié que le transmigrant pauvre pour offrir aux grandes firmes mondiales le vaste marché des pauvres, leur milieu naturellement proche, en passant en Europe, à leurs risques, des produits totalement hors taxes et hors contingentements ? Les majors de l’électronique du Sud-Est asiatique ne s’y sont pas trompés en développant l’économie mondiale « horizontale » du « poor to poor », l’entre-pauvres[10][10], via Le Golfe pour ce qui concerne l’Europe. Ils n’en négligent pas moins l’économie officielle et ses verticalités : experts, commerciaux, locaux, prêts… où se négocient, loin des pauvres et 60 % plus chers, les mêmes produits. Contradictions ? Les bénéfices de l’une et l’autre économie — imbriquées —, que certains nous décrivent comme antagonistes, enrichissent en fait les mêmes firmes.

Environ soixante mille Afghans, de Kandahar à Hérat puis Meched, en majorité[11][11] baloutches, passent annuellement par les ports turcs et géorgiens ou abkhazes de la mer Noire, Samson, Trabzon, Poti, Soukhoumi[12][12]. Là, ils se chargent de produits électroniques du Sud-Est asiatique importés en « destination finale » par les Émirats du Golfe et par Koweït City, hors taxes et hors contingentements. En de nombreuses traversées, les transmigrants Afghans livrent en Bulgarie, c’est-à-dire en Europe, par les ports de Burgas et de Varna, environ six milliards de dollars[13][13] de ces marchandises, toujours détaxées, mais exfiltrées du Golfe par les « logistiques » de l’économie souterraine mondialisée.

En 2005, j’eus l’occasion de parler[14][14] à un ingénieur commercial représentant, dans les Émirats, un grand industriel de matériels électroniques du Sud-Est asiatique. C’est la première fois que j’entendais parler littéralement du poor to poor — lors de deux entretiens de deux heures à Damas au cours d’un colloque à l’Université de Damas en 2005 —, l’expression étant rarement utilisée par les transmigrants :

[…] nous ne sommes pas aveugles : les centaines de milliers d’appareils « ouverture de gamme » que nous exportons vers les Émirats, légalement sans réexportations possibles[15][15] ne sont pas destinés aux habitants, ni aux touristes, qui recherchent des séries haut de gamme à prix avantageux — par exemple un XXX (marque japonaise) et ses objectifs à six cents euros alors qu’il est vendu treize cents euros en Allemagne. Et puis, si vous divisez les produits importés par le nombre de résidents, chaque habitant devrait disposer de 500 téléviseurs, d’autant de micro-ordis, etc. […] Tous ces bons appareils photo d’entrée de gamme, à cent euros dans les circuits officiels européens et quarante euros livrés en poor to poor repartent sans déclaration de réexportation, en avion vers Bakou, Azerbaïdjan ou vers les ports turcs de la mer Noire, par les petits aéroports côtiers… après c’est des Iraniens, des Géorgiens, plein d’Afghans, des Kurdes, qui se chargent de passer les frontières chargés à bloc, des cargos ukrainiens qui chargent à Odessa des containers passés par Samson et débarqués ensuite à Varna ou Burgas, à l’arrivée des Afghans. […] Il y en a même qui font tout par voie terrestre, par l’Arabie Saoudite et la Syrie — l’Irak est devenu impossible. […] Et toutes les marques sont concernées, alors tu vois le tsunami d’appareils. On ne pourrait jamais organiser de telles logistiques […]. Les pauvres en demandent partout, alors c’est un gigantesque marché mondial du « main à main ». […] Nous fournissons le premier importateur en « terminal », en gros soixante pour cent — ou plus même — en dessous du prix « réimportation zone euro ». Et nous sommes débarrassés de tous les soucis de distribution, de passages de frontières, d’après-vente… Nous sommes, pour l’officiel, des victimes de trafics incontrôlables […]. Mais tu comprends bien que c’est désormais pour nous un extraordinaire marché : le « poor to poor ». Des centaines de millions de consommateurs potentiels : « peer to peer », « poor to poor », même combat. […] Pour nous, il nous revient de trouver les bonnes accointances banques-importateurs pour que le commerce puisse exister, je parle des lignes de crédit, les quatre mois nécessaires à la diffusion vers les populations pauvres par les migrants, et de faire passer partout les messages sur les qualités des derniers produits « poor ». […] Il est impératif, encore, de vendre aux passeurs-commerçants, quelles que soient leurs origines et leurs destinations, des produits neufs et nouveaux : nous produisons des entrées de gammes très bien cotées par la presse pour le marché des pauvres ; les acheteurs ont le sentiment d’être « dans la course » à la modernité technique. Et surtout de ne pas acheter de contrefaçons. […] Pour eux, qui font fonctionner l’économie des pauvres, il n’y a pas de têtes de réseaux commerciaux comme dans le commerce « normal » […]. Commande dans les émirats, livraisons sur les aéroports de la mer Noire, ou à Djedda. Ils fonctionnent en moyenne sur trois ou quatre mois entre livraison et paiement et nous devons donc nous porter informellement garants pour les avances consenties[16][16]. Informellement, c’est-à-dire que nous désignons des importateurs qui n’ont jamais fait défaut et qui dealent avec les contrebandiers du poor to poor. Ils doivent veiller aussi à une diffusion la plus large possible : pour l’Europe, arriver jusqu’au bout de l’Espagne […] la voie Moyen-Orient/Balkans n’est bien sûr pas la seule […]. Pour l’Afrique, Djedda, pendant le pèlerinage, vend autant que tous les Émirats du Golfe. […] C’est partout des deals vers l’Europe ou l’Afrique. Et surtout le matériel de base que nous leur fournissons doit être impeccable. Surtout pas d’appareils jetables, les pauvres n’en veulent pas, c’est pour les jeunes fils de riches : par contre, ils nous aident beaucoup pour la vente du matériel supérieur en visibilisant une marque. […] C’est le bas, directement desservi, qui pousse le haut vers les magasins…[17][17] (Colloque international, Université de Damas 2005)

Les régulations des échanges bancaires liées à la crise, et réclamées lors d’une intervention commune au Qatar, en 2007, par Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, interdisent désormais à ces migrants de bénéficier des lignes internationales de crédit que leur consentaient des banques émiraties pour le prépaiement[18][18] des marchandises. Les réseaux criminels suppléent à cette « moralisation » des circulations de capitaux en prêtant les sommes équivalentes d’argent à blanchir et, en contrepartie, en exigeant des Afghans qu’ils cultivent les pavots à opium illégalement implantés en Turquie, en Géorgie, en Abkhazie et, depuis peu, en Ukraine. En somme, ces nouvelles accointances associent migrants internationaux, milieux criminels et firmes de l’électronique asiatique. Pour ce qui concerne la transmigration commerciale afghane, les rythmes de départ sont conditionnés par les phases culturales du pavot : semences, puis trois à quatre mois après, selon l’altitude, sélection des plants suivie de l’incision des bulbes quatre à cinq mois après, et de la confection des boules d’opium. Les transformations en morphine et en héroïne, réparties dans l’ensemble des nations riveraines et assumées directement par les milieux criminels, à l’exclusion des transmigrants, provoquent de multiples navigations sur la mer Noire entre les divers ports turcs et caucasiens : Samson, Trabzon, Poti, Soukhoumi, Sotchi (Russie), Kertch, Odessa, et les ports européens de Bulgarie, Burgas et Varna, et, accessoirement, de Roumanie, Constantza. L’héroïne provenant de ces ports est offerte à la vente sous une dénomination nationale : l’« Afghane », la « Turque », la « Géorgienne », la « Russe », l’« Ukrainienne », respectivement à 12, 10, 8, 6 et 9 euros le gramme pour des achats d’au moins 250 grammes en 2010 à Trabzon. La variation des prix, à partir de bases-opium identiques, tient à la nature des coupages et à la notoriété des origines.

Le « décor est dressé »[19][19] : il reste à connaître les destinées migratoires qui se construisent autour de la mer Noire, dans cet apparent désordre des circulations de colporteurs de produits d’usages illicites pour lesquels nous prendrons à témoin les Géorgiens, et d’usages licites, pour lesquels nous nous tournerons vers les Afghans.

Replis identitaires et destins cosmopolites : les lieux du changement.

Les routes des Baloutches, Afghans ou Iraniens, qui circulent par groupes de sept à dix personnes (« c’est plus facile de se louer pour des travaux des champs ou du bâtiment ») passent minoritairement par l’Azerbaïdjan et la Géorgie, jusqu’aux rives de la mer Noire, et surtout par la Turquie, de Van à Trabzon. La deuxième voie est la plus commode : les Baloutches afghans, en effet, peuvent facilement acquérir des passeports iraniens dès lors que leur patronyme est commun avec celui de Baloutches iraniens. La traversée de la Turquie en est facilitée puisqu’aucun visa n’est nécessaire entre Turcs et Iraniens. Par contre, la voie transfrontalière irano-turque est parfois coupée par les opérations militaires contre les Kurdes. En fait, les groupes les premiers disponibles prennent la voie turque au moment des débuts de phases culturales du pavot et les retardataires empruntent la voie azérie et géorgienne, où le décalage cultural varie entre deux et quatre semaines. Dans l’un et l’autre cas, les groupes demeurent soudés et affirment leur identité baloutche :

Ce n’est pas le moment de faire bande à part[20][20] ; les itinéraires par le Caucase sont très dangereux ; guerre chronique en Tchétchénie et en Ossétie ; et ceux par la Turquie ne sont guère plus rassurants ; l’armée iranienne nous contrôle plusieurs fois par jour et le passage des zones kurdes nous coûte autant, en bakchichs, que la traversée de la Géorgie. […] Disons que l’hiver il vaut mieux prendre la route de la Turquie […] et puis, attendre la marchandise à Trabzon, c’est plus agréable qu’à Poti. (transmigrant Baloutche)

Avec surprise, nous constatons que les groupes qui se constituent après les allers-retours sur la mer Noire, pour passer le « chargement » de produits livrés par des avions cargo dans les petits aéroports côtiers turcs et géorgiens, sur les routes qui quittent les rives bulgares, roumaines et ukrainiennes, sont mixtes : Baloutches, autres Proche-Orientaux, Turcs et/ou Polonais, lorsque les transmigrants empruntent les « voies du nord » vers l’Allemagne. Ils sont rejoints par des Ukrainiens, des Abkhazes et d’autres Afghans débarqués à Odessa. Quelques Russes, après avoir effectué le parcours maritime de Sotchi à Odessa, se mêlent à eux. La mixité de ce cosmopolitisme circulatoire est intense. Il en va de même pour ceux qui empruntent la « voie du sud » par la Bulgarie, la Macédoine et le Kosovo, l’Albanie, l’Italie du Sud puis l’Espagne : les Baloutches se mêlent à des Bulgares, des Roumains, des Serbes, et des Albanais. Comme si, après une spécialisation ethnique dans le premier itinéraire vers la mer Noire, et une forte mobilité de port à port sur cette mer, les groupes étaient recomposés dans la plus grande diversité.

Sur la mer Noire, les Baloutches effectuent en moyenne huit traversées, chargés des produits « passed by Dubaï » — d’usages licites donc — pour une valeur globale d’environ cent mille dollars chacun. Le port de destination est quasi exclusivement celui de Burgas, en « Europ Bulgare », selon l’expression consacrée. Les ports de retour et de chargement sont Poti, en Géorgie, Trabzon et Samson en Turquie, et parfois, pour des déchargements de marchandises passées par la Bulgarie et en provenance de l’Union Européenne, Soukhoumi en Abkhazie, Odessa en Ukraine et Sotchi en Russie. Depuis ces trois derniers ports, des navires abordent Trabzon pour faire le plein de marchandises passées par le Golfe et, accessoirement, pour débarquer toutes sortes de marchandises, souvent artisanales, fabriquées dans la CEI[21][21] et revendues, en gros ou en détail, dans le grand marché russe du port. Des cargos iraniens, égyptiens, libanais et syriens, chargent ces multiples arrivages. L’absence d’Istanbul, porte méditerranéenne de la mer Noire, est évidente[22][22].

Les cargos utilisés pour les échanges intra-mer Noire sont généralement mixtes, c’est-à-dire qu’ils sont aménagés pour transporter des voyageurs, le plus fréquemment les accompagnateurs des marchandises. Enfin, ces circulations génèrent d’abondants mouvements de petits caboteurs ou de grandes barques, chargés de récupérer les « marchandises sensibles », c’est-à-dire passées hors taxes et souvent en dérogation des contingentements, à quelques heures de l’arrivée à destination. Il s’agit de les débarquer dans des petits ports de pêche où leurs propriétaires viennent les récupérer, après s’être libérés des démarches d’importation de quelques marchandises débarquées vers des destinations officielles[23][23].

Ces premières mobilités portuaires autour de la commercialisation des marchandises d’usages licites sont complétées par celles liées à la répartition et la diffusion des marchandises d’usages illicites, les drogues opiacées en premier lieu. Bien sûr, les cargos requis sont en apparence les mêmes que ceux transportant des produits d’usages licites, mais les passagers, eux, sont différents. Les Afghans, au fur et à mesure de la répétition des traversées de Trabzon ou de Poti vers Burgas, puis de Burgas vers les mêmes ports et vers Sotchi et Odessa, se mêlent avec les habitants des cinq nations qui bordent la mer Noire. Des Polonais et des Serbes attirés par les arrivages de produits passés par le Golfe les rejoignent. Les transports de cargaisons de dérivés d’opium ne supportent, eux, que des accompagnateurs d’identités uniques… en l’occurrence Géorgiens, Russes ou Ukrainiens. Il en va de même lors des escales dans les hôtels des ports, puis, plus tard, lors des accompagnements par les voies terrestres. Les femmes, pour le travail du sexe dans les ports turcs, embarquent à Sotchi lorsqu’elles sont originaires des républiques caucasiennes et à Odessa lorsqu’elles sont Moldaves ou Ukrainiennes, et se rendent vers une destination unique en Italie du Sud ou sur les côtes du Levant espagnol.

Devenir « voyageur » transmigrant.

Deux transmigrants Baloutches, le premier Iranien de Meched, le second Afghan d’Hérat, nous disent à quel point l’entrée en transmigration est intégratrice à des nouveaux univers relationnels :

[…] c’est pendant le mois des traversées que nous apprenons la langue universelle : le « broken english » que nous parlons de l’Afghanistan à la mer Noire, se charge de mots russes, polonais et bulgares, ajoutés une fois pour toutes ou à utiliser selon les lieux. […] et ça, le renouvellement du broken, on le fera ensuite selon les chemins qu’on prend. […] on apprend pendant ce mois sur mer et dans les ports à parler à tous, comme si on avait inventé la langue passe-partout, alors tu es bien dans tous les ports et après, si on va vers l’Europe ; les gestes restent les mêmes, le broken English organise la parole, et les mots nouveaux apparaissent selon où tu es et à qui tu parles.

[…] moi, ce qui m’a le plus secoué, et qui a fait que j’ai poursuivi la route vers l’Italie, c’est de constater que je pouvais parler à tous, mais surtout d’entendre des anciens revenus déjà d’Espagne, nous dire que tout le long du chemin il y a des terres de croyants. […] tu sais que c’est plus facile pour la prière et pour du travail en route, et on te dit qu’un tel de Kandahar ou de Farah s’est marié avec une fille de croyants et maintenant travaille comme berger, ou boucher, ou agriculteur en Macédoine ou en Italie. […] là où il est, ça devient une étape. […] j’ai appris aussi, dans nos discussions à Trabzon, et quand j’ai navigué avec des Polonais ou des Ukrainiens, que peu importe la religion pour faire du commerce de parole chez les pauvres. Au contraire, plus tu circules avec des compagnons de langues et de religions différentes, plus tu as des chances d’aller loin et de faire de plus grands projets […]. J’ai aussi compris, sur la mer, que si j’allais vers le nord, je serais toujours avec des Turcs, oui mais comme patrons, et des Polonais ; et au sud c’est beaucoup plus mélangé, tu n’es pas aussi encadré ; peut-être un peu par des Marocains ; […] bien sûr, j’ai choisi le sud […] tout ça, c’est à Trabzon et dans les autres ports, Odessa, Burgas qu’on l’apprend avec ceux qui ont déjà fait la route, avec ceux qui arrivent pour la première fois […] et tu as confiance ou non, quelle que soit l’origine […].

Vers un espace « rives de la mer Noire ».

Trabzon, port situé au nord-est de la Turquie, non loin de la frontière géorgienne, est emblématique des brassages sociaux, ethniques et économiques caractéristiques des ports de la mer Noire. Lieu de sortie de produits vivriers, de minéraux et de populations moyen-orientales à destination de l’Europe et passant par la ville turque de Van, il est situé entre deux autres grands ports sur la mer Noire, Samson et son important trafic industriel de fabrications turques en sous-traitance européenne, et Poti, nouveau port polyvalent géorgien. Cette ville, presque millionnaire, est le fruit d’une histoire cosmopolite à la hauteur de celle d’Istanbul. Capitale de l’Empire byzantin de Trébizonde du 13e au 15e siècle, après la chute de Byzance, elle fut peuplée jusqu’au début du 20e par de fortes minorités grecques et arméniennes, partiellement déportées et massacrées entre 1915 et 1923. Ces populations sont encore présentes, enrichies d’Italiens, attirant des communautés des différentes Églises chrétiennes[24][24], et donc perpétuant le commerce de proximité ou de transit avec les différentes nations riveraines de la mer Noire et de grands ports méditerranéens.

Les quartiers de la « ville basse »[25][25], autour du Port, abritent, dans les mêmes rues, des immeubles délabrés, étapes de nombreux migrants de passage, et des hôtels modestes pour les marins d’origines variées, ou de classe internationale, dans lesquels nous avons pu rencontrer des cadres commerciaux du Golfe, d’Iran, du Liban, d’Ukraine et de Russie[26][26]. Les rez-de-chaussée sont occupés par des restaurants populaires offrant des plats turcs, exposés en devanture.

Les rythmes nocturnes débutent à huit heures, par l’ouverture des restaurants qui servent des repas dont les prix varient de deux à quinze euros. À l’exclusion de ceux de la ville haute[27][27], ils mêlent l’ensemble des populations hébergées dans la ville basse portuaire. Les transmigrants Baloutches, qui enchaînent jusqu’à dix allers-retours de Trabzon ou Poti à Burgas ou Varna, interpellent d’autres transmigrants : Kurdes, Pakistanais, Irakiens, Abkhazes, Ukrainiens etc. qu’ils ont déjà croisés au cours de leurs pérégrinations sur la mer Noire et ses ports. Les uns et les autres changent de table et recomposent des groupes originaux, changent d’hébergement pour continuer les discussions. Il est souvent question de l’au-delà des ports bulgares, de cette route encore mystérieuse que certains choisiront peut-être de parcourir à travers l’Europe. Au même moment, les prostituées[28][28] prennent leur repas dans les salles d’accueil des hôtels, avant d’arpenter les rues ou de se tenir dans des couloirs d’hôtels délabrés, dans la plus grande mixité d’origines. Encore une fois, les populations caucasiennes et balkaniques du pourtour maritime sont présentes, les Russes dominant. Les marchands de psychotropes offrent la gamme des « appellations » d’héroïne et de morphine afghane, géorgienne et turque, puis ukrainienne et russe, dont les prix par gramme varient, suivant des critères de notoriété, de huit à douze euros. Nous n’avons trouvé aucune trace de rixes opposant ces vendeurs ; par contre, les chaussées jouxtant les portes de bars à bière « Ephes », sont fréquemment le théâtre de bagarres généralisées, passé minuit : plus que de rivalités ethniques, les protagonistes se réclament de tel ou tel équipage. Les clients des restaurants, qui occupent les salles durant plusieurs heures, s’interpellent de table à table, expérimentant là leur « broken universel » en cours d’acquisition ou bien déjà maîtrisé. Leur registre linguistique trahit alors la pratique des itinéraires nord ou sud-européens. L’ajustement langagier nord-sud est rapidement réalisé. Tout, dans ces sociabilités nocturnes comme dans les activités économiques diurnes, est occasion de mixité cosmopolite. Parmi les échanges diurnes, il faut noter le rôle des deux marchés dans le brassage des populations : le « marché russe », proche du port de pêche, un kilomètre à l’ouest du port marchand, et le marché industriel, où sont proposées toutes sortes de marchandises fabriquées dans la CEI, du peigne en plastique, aux icônes et aux fleurs moulés dans la même matière, en passant par les jumelles soi-disant militaires, aux lentilles toujours de plastique. Ces ventes se doublent d’un ballet incessant de camions venus là charger des cartons au contenu mystérieux. Le second marché est celui du souk artisanal traditionnel attenant, car là, il n’y a plus de ville haute ou basse, mais une pente douce menant des collines périurbaines à la mer et peuplée de maisons basses traditionnelles qui hébergent les boutiques. De très nombreux restaurants, dans ou près des marchés, accueillent des milliers de consommateurs pour des repas de midi à bon prix, consommés debout dans la rue ou sur des terrasses qui empiètent quelques heures sur la chaussée. Les bagarres nocturnes entre équipages sont relayées par les bruyantes altercations, klaxons à l’appui, entre garçons de service et conducteurs empêchés de circuler. Là se rejouent, plus brièvement, les scènes de mixité observées le soir près du port. Chaque jour, ce spectacle se reproduit, mêlant acteurs locaux d’origines diverses et voyageurs, marins et transmigrants, d’origines plus variées encore. Les prostituées ne figurent pas dans les interactions de midi, sinon comme consommatrices des repas pris en terrasses, mais de nombreuses femmes sont là, qui achètent ou vendent des légumes et d’autres marchandises dans les nombreuses échoppes regroupées ou dispersées le long des rues sinueuses et étroites. Les sociabilités nocturnes mêlent toutes les personnes qui ont à voir avec les commerces trans-mer Noire, en un lieu aussi composite que spécialisé et selon des rythmes sociaux autres, en rupture avec ceux de la société locale. Par contraste, malgré l’apparente ressemblance des bruits et des visages, les sociabilités de midi arriment ces mêmes populations à la société urbaine locale la plus traditionnelle.

Territoires circulatoires et nouveaux métissages langagiers : vers un pidgin universel et un cosmopolitisme migratoire.

En somme, nous sommes là à l’école de « l’universalisme migratoire » : découverte et attraction de l’altérité par ceux, tels nos Baloutches primo-migrants, qui jusque-là s’étaient protégés par l’accompagnement identitaire ethnique. Cette pédagogie du cosmopolitisme permet la poursuite du voyage, l’entrée dans la transmigration européenne.

C’est dans les ports de la mer Noire, quand nous [Baloutches iraniens] attendons les marchandises ou bien nous essayons de trouver des compagnons de voyage, que nous préparons vraiment le grand voyage, celui qui peut aller jusqu’en Espagne et durer un an […]. D’abord nous apprenons à parler, et on se comprend, à tous ceux qui passent pour le commerce : tu me comprends, et pourtant tu es français et tu n’as jamais vécu en Iran, et moi pas plus en France. […] parce que c’est très important de tout entendre, à la table à côté où on peut toujours aller si ce qui se dit est vraiment intéressant : d’où viennent telles marchandises, où elles peuvent se vendre, comment faire les prix, combien il faut en prendre et comment on sera réapprovisionné en route ; où sont nos amis, chez qui on peut s’arrêter, à condition de voyager avec qui et qui encore. Bref, savoir la route, mais une route qui n’est pas seulement un sens de circulation, une longue route large de plusieurs kilomètres, avec des maisons où on peut s’arrêter une heure ou dix jours, où d’autres, qui faisaient la route, se sont parfois définitivement arrêtés, bloqués par un mariage, un travail […] et puis on ne les oublie jamais : même si nous ne les connaissons pas, même s’ils sont Kurdes et nous Baloutches, nous arrivons et nous disons : « à Trabzon on m’a dit… », et c’est l’accueil, les discussions, le repas et l’hébergement. […] on lui montre les marchandises et il va au village chercher des clients, c’est son importance ici. Donnant-donnant[29][29].

Nous nommons ces entrelacs de sociabilités, ces topiques relationnelles qui font couloirs migratoires et étapes, les « territoires circulatoires ».

Ceux qui reviennent d’une grande tournée en Europe disent tous qu’ils ont découvert des couloirs d’accueil qui n’en finissent pas (Kurde et Baloutche iranien) […] dans les Balkans, la trace des Sultans est toujours là ; déjà en Bulgarie, des Slaves musulmans, oui, blonds avec les yeux bleus [les Pomaks], puis quelques kilomètres et les Albanais musulmans sont en Macédoine, et aussi en Italie, à Brindisi et près de Rome[30][30], mais aussi dans toutes les grandes villes, comme en France et en Espagne […]. Partout ils sont pauvres et nous accueillent pour le commerce, pas parce que nous sommes surtout des musulmans, mais ça compte, ils sont maltraités, et c’est pour ça qu’ils sont accueillants pour nous. Ils nous accueillent parce qu’ils sont pauvres, nous aussi et nos clients aussi […] Bon, tout le long on a la possibilité de passer par telle route ou telle autre dans le vaste couloir de nos amis. […] on circule dans la vaste nation des pauvres, donc dans le monde sans frontières des « parents-par-la-pauvreté ». (Baloutche iranien)

Pour nos Baloutches, et tant d’autres, les chemins étroits, itinéraires cartographiés, organisent le voyage entre semblables, en unités ethniques, de chez eux aux rives de l’entité « mer Noire ». Les passages de la mer lors des nombreux allers-retours de livraisons, les interactions sociales développées dans les ports et sur les cargos, transforment l’identité en altérité, et le chemin en territoire. C’est ainsi qu’apparaissent des « territoires circulatoires »[31][31], espaces délimités par les rapports économiques et, inséparablement, affectifs, permettant d’originales traversées européennes. Les identités nouvelles s’originalisent dans une priorité des temporalités sociales sur les espaces parcourus : immédiateté des interactions, transactions, temps plus long du choix des étapes, des unions locales, des rencontres, brèves ou durables, de migrants historiques, intégrés, eux, au lieu (locus). Le « Je circule avec xxx depuis xxx temps » hiérarchise les identités nomades, transmigrantes, en substitution du « je suis d’ici depuis » du sédentaire[32][32]. Dès lors certains d’entre eux sont prêts à poursuivre, en Europe, sur un mode désormais cosmopolite[33][33], leur migration qui devient transmigration[34][34] : savoir entrer-sortir et faire étape. La pédagogie de l’« étape mer Noire » ne s’arrête pas là : le temps et l’expérience des traversées est aussi formation profonde à la logique économique du « poor to poor » : la maîtrise de la « moins-value positive ». C’est ainsi qu’apparaît, sur le mode de la mobilité, de la fluidité, de la continuité des temps sociaux, bien davantage que sur la juxtaposition des éléments de l’espace, de nouvelles frontières malléables. Tout au long des parcours se développent des interactions multiples : parcours et arrêts sont occasions de découvertes et d’amalgames cosmopolites, y compris avec les sociétés locales. Nul ne sait combien durera le parcours de chez soi à chez soi. L’insécable dualité des rapports, affectifs et économiques, produit, à l’image de la moral area, une grande diversité de situations. L’étape collective, telle la complémentarité des ports de la mer Noire, a une fonction déterminante. Elle s’assoit sur les modalités du parcours le long des territoires circulatoires : les apprentissages de la mixité sociale et culturelle conduisant à l’intégration dans les territoires circulatoires. Le trans- prend un sens spécifique, irremplaçable, de la migration collective internationale en contexte de mondialisation postnationale.

Les migrants géorgiens, spécialisés dans des activités criminelles[35][35] dès la fin du socialisme, et la liberté retrouvée de circuler, connaissent des réalités bien différentes. Elle contraste avec ce récit heureux de l’autogestion de leur migration par des Baloutches, Afghans et Iraniens, à partir de leur entrée dans l’univers des altérités de la mer Noire et de leur découverte de territoires des circulations européennes. Ces migrants « mono-identitaires », issus de l’espace georgien, ont rapidement formé l’ossature de réseaux criminels pour les trafics de femmes vers l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et d’autres pays nordiques. Nous les retrouvons dans nos enquêtes[36][36], dans les réseaux de distribution de psychotropes en Europe de l’Ouest, comme dans la protection de lieux de prostitution, tels les « Clubs » du Levant espagnol. Ce contraste est important pour la compréhension des dispositions à l’altérité des transmigrants commerçants de produits d’usage licite. Les croisements et les brefs accompagnements entre réseaux criminels et transmigrants du « poor to poor » n’aboutissent jamais, à notre connaissance, à une fusion des deux formations mondialisées.

Devenir « entrepreneur » : une moins-value positive dans la circulation transmigratoire.

Bakhan, Baloutche iranien installé, de 2006 à 2011, comme aconier au port bulgare de Burgas, à propos de la « moins-value positive » :

On [les Afghans] cultive le pavot en Turquie et en Géorgie, comme ouvriers agricoles de passage […] les trafiquants turcs transforment l’opium. Il est cédé aux clients russes, italiens, bulgares qui revendent rapidement de l’héroïne et de la morphine, et tout cet argent sale, c’est nous qui le blanchissons avec le commerce des marchandises passées par le Golfe. […] c’est comme quand nous cultivons les pavots, nous ne connaissons pas les crapules qui transforment la drogue […] nous sommes des ouvriers agricoles […] un peu dans le même monde des commerces cachés, mais pas criminels […] pour blanchir l’argent des trafiquants, nous cédons environ 40 % de nos marchandises à des marchands officiels, installés dans les villes, comme les Syriens à Sofia ; ils vendent au prix fort et nous, nous pouvons avoir l’avance pour les commerçants de Dubaï et baisser encore nos prix avec l’argent que les trafiquants acceptent de perdre dans le blanchiment.

Au passage de la mer Noire, l’héroïne, en Europe de l’Est, double sa valeur : autant d’argent à blanchir, dont 20 % pourront être réinjectés, comme « moins-value positive »[37][37], dans l’abaissement des coûts des marchandises passées par le Golfe. Il faut sans doute voir là une nouvelle « qualité », économique cette fois, des apprentissages lors des traversées de la mer Noire[38][38]. Désormais, le territoire circulatoire est balisé de ces lieux-ruptures de valeurs des psychotropes qui enrichissent les réseaux criminels et nourrissent en « moins-values positives » les commerçants transmigrants pour créer des opportunités de réapprovisionnements en marchandises « passed by Dubaï » et, pour partie, cédées aux commerçants « officiels ». Les majors du Sud-est asiatique sont les grandes bénéficiaires de ces échanges. L’alliance des mondialisations est ainsi caractéristique des moral areas migratoires. Autres lieux de survalorisation des psychotropes : le passage de la mer Adriatique avec un doublement du prix des produits opiacés, et la Méditerranée, d’Italie du Sud à l’Andalousie, avec encore 25 % d’augmentation… Quoi d’étonnant alors à ce que les transmigrants soient réapprovisionnés en marchandises, depuis le Golfe, dans l’extrême sud italien ? C’est ainsi que les territoires circulatoires des transmigrants, topiques de mémoires et d’interactions sociales en mobilité, sont charpentés par des réseaux criminels d’une part et par la distribution officielle d’autre part. Ces derniers créent l’illusion d’une organisation en réseaux de la mobilité des transmigrants, alors que le cheminement partagé, comme le commerce parmi les pauvres, sont affaire de rencontres, d’opportunités et de transactions directes, horizontales.

L’espace mer Noire, avec ces groupes de migrants ethniques, attirés puis dispersés après brassages, est ainsi constitué en milieux cosmopolites. Avec l’intensité des échanges portuaires et les superpositions de flux de navigation, il ressemble typologiquement à la moral area du Chicago de Robert Ezra Park des années 1930, et de sa postérité d’ethnosociologue, jusqu’à aujourd’hui[39][39].

L’enquête empirique nous a appris que ces nouvelles moral areas de la mondialisation migratoire sont à aborder en termes de temporalités. Interactions, rencontres, transactions, circulations, tournées… affectent de sens les lieux supports aux mobilités[40][40] et disent les nouvelles frontières suggérées par les circulations des transmigrants, du continent à l’enclave urbaine.

« …allons, retournons, après tant d’escales dans les mondes des dieux, nous connaîtrons mieux nos villages. » Ulysse, Odyssée.

Endnotes:
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  40. [40]: #_ftn40

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