Mobilités du quotidien et santé.

by Delphine Groux | 19.11.2021 11:47

Un cycliste dans le quartier Opéra, Paris. Source : anonyme, 2021.

De plus en plus appréhendée de manière globale [« état de complet bien-être » (OMS 1946, p. 94)], comme une ressource positive et dynamique de la vie quotidienne (OMS 1986), voire comme une capacité à agir (Gouvernement du Québec 2020, p. 10), la santé recouvre toujours trois dimensions : physique, mentale et sociale. Comme en témoignent les définitions qui appréhendent la santé mentale comme la capacité à « établir un équilibre entre tous les aspects de sa vie physique, psychologique, spirituelle, sociale et économique » (Boisson et al. 2009, p. 24), les trois dimensions sont interdépendantes. Le volet social se distingue néanmoins dans la mesure où il peut aussi bien faire référence aux caractéristiques individuelles qu’à la société en général (Tognetti 2014). Qu’il soit désigné par la notion de bien-être social ou de santé sociale, ce volet relève de capacités d’accéder à des ressources. Au niveau de la société, il s’agit notamment d’évaluer dans quelle mesure les capacités d’accès à des biens et services jugés essentiels sont également distribuées. Au niveau de l’individu, il est surtout question d’évaluer des capacités à avoir des interactions positives avec autrui ainsi qu’avec les institutions, les règles et les normes sociales (Russell 1973). Mais précisons que si différents indices ou indicateurs[1][1] ont été mis en place dans différents contextes pour mesurer la santé sociale sur un territoire, il n’existe pas de définition faisant référence officielle, pas plus qu’il n’en existe pour la santé physique et la santé mentale.

Depuis le début des années 2000, les effets de la dégradation de l’environnement sur la santé humaine ont fait l’objet d’une véritable préoccupation de santé publique. Acteur majeur de la pollution de l’air locale, du bruit (et des vibrations), de l’effet de serre, de la consommation d’espace et des atteintes aux milieux/ressources naturels (Lambert et Philipps-Bertin 2009), le secteur des transports est pointé du doigt. Cela s’est notamment traduit par la mise en œuvre d’un programme pan européen sur les transports, la santé et l’environnement (2002). Plus récemment, un volet « transport » a été élaboré dans le cadre du 3e Plan national santé environnement (PNSE3 2015), lequel a encouragé le développement d’actions « transports, mobilités et santé » à travers les Plans régionaux santé environnement (PRSE) et les Plans de déplacements urbains (PDU) (DGTIM 2017).

Ces démarches ont été portées par le concept de « santé environnementale », initié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS 1994). Caractérisé par une acception très large, ce dernier englobe l’ensemble des effets sur la santé dus à des facteurs exogènes, tels que : la qualité des milieux (pollution de l’air, nuisances sonores, insalubrité, etc.), les activités humaines (pollution de l’air intérieure et extérieure, accidents domestiques, violences urbaines, etc.), les conditions de vie (expositions liées à l’habitat, aux modes de déplacement, au travail, etc.), et les comportements individuels (tabagisme passif, sédentarité, immobilité, etc.) (Lajarge et al. 2017). En somme, le concept recouvre tous les déterminants de la santé ne relevant pas du système de soin. En parallèle d’incitations à « prendre en compte la problématique santé-environnement dans les documents de planification territoriale » (p. 99), et à « promouvoir les mobilités actives » (p. 100), le volet « transport » du PNSE3 (2015) s’est donné pour objectif d’« améliorer la connaissance des impacts sur la santé de la qualité des transports quotidiens » (p. 101). C’est dans cette ambition que s’inscrit cet article.

Comme cela a été souligné lors des rencontres nationales « santé environnement » qui se sont tenues à Bordeaux en 2019 en vue de la préparation du PNSE4[2][2], les documents de planification territoriale relatifs aux déplacements se focalisent encore sur le volet « physique » de la santé, en négligeant les dimensions mentale et sociale, pourtant impactées par les transports. Le présent article propose d’y remédier en développant un état de l’art sur les dimensions mentale et sociale de la santé en lien avec les mobilités de la vie quotidienne.

Dans la littérature scientifique, aussi bien que dans le langage courant, la notion de mobilité telle qu’elle est le plus souvent utilisée, souffre de plusieurs insatisfactions : elle est strictement spatiale, s’applique aux déplacements réalisés et se mesure de façon fonctionnelle (Gallez et Kaufmann 2009). Une bonne partie de l’épaisseur de la notion est alors perdue, qu’il s’agisse de son acception sociale de changement, de sa dimension potentielle de virtualité ou de sa composante idéologique. Pour donner corps à la notion de mobilité en répondant aux insatisfactions identifiées sans tomber dans les trois écueils rappelés, une approche inédite de la mobilité a été développée depuis une vingtaine d’années à partir des travaux de Sorokin (1927), de l’École de Chicago (McKenzie 1927) et de Bassand (Bassand et Brulhardt 1980). L’idée consiste à définir la mobilité comme : « l’intention, puis la réalisation d’un franchissement de l’espace géographique impliquant un changement social ». L’originalité de l’approche consiste à partir de cette définition générale à concentrer les investigations sur les intentions en matière de mobilité et le passage à l’acte de se déplacer, plus que sur les déplacements proprement dits. C’est ainsi que dans cette approche, chaque personne ou groupe se caractérise par des propensions plus ou moins prononcées à se mouvoir dans l’espace géographique, économique et social. Celles-ci constituent dès lors un ensemble d’aptitudes conceptualisé par la notion de « motilité », en référence à l’acception de ce terme en biologie. La motilité se définit comme : « l’ensemble des caractéristiques propres à un acteur qui permettent d’être mobile, c’est-à-dire les capacités physiques, le revenu, les aspirations à la sédentarité ou à la mobilité, les conditions sociales d’accès aux systèmes techniques de transport et de télécommunication existants, les connaissances acquises, comme la formation, le permis de conduire, l’anglais international pour voyager, etc. » (Kaufmann 2014, p. 61). Cette conceptualisation permet en outre de cerner les relations entretenues entre les possibilités offertes par le territoire et les propensions des acteurs à être mobiles. Ces relations sont d’autant plus importantes que les possibilités de déplacements se sont considérablement élargies depuis une cinquantaine d’années et qu’en conséquence, il n’y a plus de relation mécanique entre une offre et une demande, mais un univers dans lequel les acteurs vont se situer selon des dynamiques multiples et des ressources qui leur sont propres.

Le cadre d’analyse qui vient d’être brièvement décrit permet d’aborder les dimensions mentales et sociales de la santé dans la mobilité quotidienne tout en les articulant à sa dimension physique. Le cadre théorique proposé par le concept de motilité permet en effet de prendre à la fois en compte le champ des possibles (offre et fonctionnement des réseaux de transport, communication/information, lois/codes, topographie, etc.), le potentiel (parfois désigné par les termes d’aptitudes ou de motilité, c’est-à-dire les capacités physiques, connaissances, compétences, aspirations, projets, perceptions, peurs, ressources financières, ressources d’accès aux transports, etc.), et la mobilité quotidienne réalisée [modes de déplacement, motifs, propriétés (lieu d’arrivée/de départ, distance, durée, fréquence, vitesse), conditions (météo, promiscuité, congestion, pollution de l’air, bruit, odeurs, etc.), manières (ex : démarche/conduite plus ou moins prudente, agressive, déviante, sportive, etc.] (Kaufmann, Ravalet et Dupuit 2015). Comme l’indiquent les conclusions du projet PARMA (Perception des avantages et des risques pour la santé de la pratique des modes actifs) (Papon 2018), il est essentiel de prendre en compte à la fois les dimensions objectives et subjectives des mobilités et de la santé. Enfin, il est important de s’intéresser aussi bien aux facteurs de risque de dégradation de la santé (pathogénèse), qu’aux ressources favorisant une santé positive (salutogenèse) (Bauer, Davies et Pelikan 2006). Tout en tenant compte des éléments théoriques venant d’être décrits, il s’agira de s’appuyer sur la littérature existante pour se demander dans quelle mesure les mobilités du quotidien influencent la santé dans ses dimensions physique, mentale et sociale. L’objectif n’est pas tant de faire un état de l’art exhaustif de tous les travaux apportant des éléments de réponse sur le sujet, que d’essayer de rendre compte de l’étendue des questionnements scientifiques qu’il peut poser.

Nous aborderons dans un premier temps le sujet des bienfaits de l’activité physique que peuvent induire les mobilités quotidiennes sur la santé physique. Ensuite, les sujets de l’exposition au risque d’accident et de l’exposition à la pollution (atmosphérique et sonore) feront respectivement l’objet d’une seconde et d’une troisième partie. Enfin, une quatrième partie abordera la question des mobilités du quotidien et de la qualité de vie (mentale et sociale). Chaque partie sera structurée et analysée selon le cadre théorique proposé par le concept de motilité, sur la base du triptyque (A) « pratiques de mobilité » ; (B) « potentiels de mobilité » ; (C) « champ des possibles ».

Mobilités du quotidien et bénéfices physiques de l’activité physique.

Pratiques de mobilité et bénéfices de l’activité physique.

La problématique posée conduit notamment à se demander dans quelle mesure certains modes de déplacement peuvent être considérés comme plus bénéfiques sur le plan de la santé physique, que d’autres. Une étude devenue incontournable sur le sujet montre qu’une augmentation de la part des modes actifs et des transports publics peut avoir des répercussions importantes sur le pourcentage de personnes qui respectent les recommandations en matière d’activité physique (≥ 30 min par jour d’activité physique modérée à vigoureuse). A contrario, c’est l’usage de la voiture particulière en tant que conducteur·rice ou passager·ère qui induit le moins d’activité physique et le plus de sédentarité (Chaix et al. 2014). Or il est aujourd’hui bien établi que des niveaux d’activité physique plus élevés sont associés à une réduction de la mortalité toutes causes confondues (Andersen et al. 2000,  Leitzmann et al. 2007) ainsi qu’à une réduction de l’incidence de nombreuses maladies chroniques (Rhodes et al. 2017) : notamment le diabète de type 2 (Jeon et al. 2007), les maladies cardiovasculaires et certains cancers (Celis-Morales et al. 2017). De par l’activité physique qu’ils induisent, les modes actifs — y compris dans le cadre de déplacements domicile-travail/lieu d’étude — sont notamment associés à des effets bénéfiques sur l’indice de masse corporelle (IMC) (Lubans et al. 2011, Xu et al. 2013, Flint et al. 2014, Martin et al. 2015, Dons et al. 2018), la santé cardiovasculaire (Hamer and Chida 2008, Xu et al. 2013, Papon et al. 2017), le risque de certains cancers (Hou 2004, Matthews 2005), et le risque de mortalité (Andersen et al. 2000, Matthews et al. 2007).

Parce qu’un déplacement à vélo nécessite en général plus d’énergie par minute que la marche, les cyclistes sont globalement plus « physiquement actif·ve·s » que les piéton·ne·s (Celis-Morales et al. 2017, Turrell et al. 2018), et cela se reflète sur le plan sanitaire : le vélo s’avérant plus bénéfique que la marche vis-à-vis du risque de mortalité (Matthews et al. 2007, Celis-Morales et al. 2017), des maladies cardiovasculaires, de certains cancers (Celis-Morales et al. 2017) et de l’IMC. Ainsi, les piéton·ne·s ont généralement un IMC plus élevé que les cyclistes (Flint and Cummins 2016, Mytton et al. 2016, Dons et al. 2018), mais inférieur à celui des usager·ère·s de transports publics, qui ont il·elle·s-mêmes un IMC bien inférieur à celui des usager·ère·s de transports motorisés privés (MacDonald et al. 2010, Liao et al. 2016, Smart 2018, Dons et al. 2018). À ce sujet, il est important de bien distinguer le vélo classique (« mécanique ») du vélo à assistance électrique (VAE). Si ce dernier permet des niveaux d’activité physique modérés à vigoureux (Berntsen et al. 2017, Langford et al. 2017) supérieurs à ceux observés pour la marche et qu’il peut se traduire par une amélioration de la condition cardio-respiratoire des personnes physiquement inactives (Bourne et al. 2018), il génère des niveaux d’activité physique par kilomètre inférieurs à ceux du vélo classique et ses effets bénéfiques sur l’IMC sont beaucoup moins évidents (Dons et al. 2018). Finalement, son intérêt pour la santé physique réside dans le fait que ses utilisateur·rice·s tendraient à se déplacer plus loin et plus longtemps (Langford et al. 2013, Fyhri et Fearnley 2015, Fyhri et Sundfør 2020).

Au-delà des modes de déplacement eux-mêmes, il doit pouvoir être envisagé que leurs effets bénéfiques sur la santé physique varient selon les motifs de déplacement, leurs propriétés (distance, durée, fréquence, vitesse), les conditions (météo, promiscuité, congestion, pollution de l’air, pollution sonore, etc.) dans lesquelles ils sont réalisés, et les manières avec lesquelles ils sont réalisés. Mais, ces dimensions restent peu étudiées.

Pour ce qui concerne les motifs de déplacement, ce constat est notamment renforcé par le manque criant de données sur les mobilités non-pendulaires (Deenihan et Caulfield 2014). Une étude de Sahlqvist et al. (2012) se démarque ainsi en suggérant que les usager·ère·s de modes actifs pour les déplacements domicile-travail/lieu d’étude ne pratiqueraient pas davantage d’activité physique totale que les usager·ère·s de modes actifs non-pendulaires. Ce résultat devrait encourager les études sur les effets des mobilités non-pendulaires sur la santé. D’autant quand on sait que les déplacements non-professionnels sont plus fréquents et qu’ils représentent une proportion plus importante des déplacements que ceux réalisés pour le motif travail (Convery et Williams 2019).

On trouve un peu plus d’analyses sur les effets des propriétés (distance, durée, fréquence, vitesse) des déplacements sur la santé physique. À titre d’exemple, Martin et al. (2015) ont constaté une réduction plus importante de l’IMC chez les individus se portant vers des modes actifs avec des temps de trajet supérieurs à 30 minutes par rapport à ceux dont les trajets sont inférieurs à 10 minutes (Martin et al. 2015). Autre exemple, Celis-Morales et al. (2017) ont constaté que les longues distances à vélo sont associées à des bénéfices sur la santé physique (maladies cardiovasculaires, cancer et mortalité) plus marqués que les courtes distances, qui elles-mêmes s’avèrent plus bénéfiques que l’absence de vélo. Selon la même étude au sujet de la marche, une diminution significative du risque d’incidence de maladies cardiovasculaires ne s’avère évidente que chez les navetteur·se·s qui parcourent l’équivalent de plus de deux heures de trajet hebdomadaire à vitesse standard (Celis-Morales et al. 2017). En outre, Dons et al. (2018) ont montré que si les « cyclistes fréquent·e·s » (déplacements > une fois par semaine) ont un IMC particulièrement bas, la corrélation ne se vérifie pas pour les cyclistes occasionnel·le·s. Cependant, il reste difficile de prouver que les associations en question ne sont pas dues à des causalités inverses. Par exemple, il a été montré que les adultes âgés ayant un IMC élevé sont davantage susceptibles d’utiliser un VAE qu’un vélo classique (VAN Cauwenberg et al. 2018). De la même façon, les individus minces pourraient être plus susceptibles de marcher ou de faire du vélo plus fréquemment, pendant plus longtemps et sur de plus longues distances, que les individus en surpoids (Wanner et al. 2012, Ekelund et al. 2017). Mais les études longitudinales ne semblent pas aller dans ce sens. Elles indiquent par exemple que les automobilistes se reportant vers un mode actif ou un transport public voient leur IMC diminuer significativement (Martin et al. 2015, Flint et al. 2016, Smart 2018, Dons et al. 2018). Lorsque les cyclistes arrêtent de faire du vélo ou en réduisent la fréquence, leur IMC augmente, et lorsqu’il·elle·s reprennent ou augmentent leur fréquence d’utilisation, leur IMC diminue (Dons et al. 2018). Enfin, on peut citer une étude de Hoehner et al. (2012), qui a montré que les longs trajets en voiture sur une période prolongée sont associés à un risque accru de crise cardiaque et d’obésité. Pour cause, la distance réalisée en voiture serait associée de manière négative à l’activité physique, à la forme cardiorespiratoire, à l’adiposité et aux indicateurs de risque métabolique.

Au sujet d’éventuels effets bénéfiques de certaines conditions de déplacement sur la santé physique, on sait par exemple que les périodes hivernales, ou plus largement les mauvaises conditions météorologiques (basse température, vent fort, fortes précipitations, etc.) affectent considérablement l’usage du vélo (Bergström et Magnusson 2003, Winters et al. 2007, Corcoran et al. 2014, Rudloff et Lackner 2014, Liu et al. 2015, Kim 2018, J Zhao et al. 2018), on peut supposer que sur un même territoire, les périodes ou saisons les plus clémentes sur le plan météorologique — en suscitant davantage de pratique — favorisent certains des bénéfices du vélo sur la santé physique. Aussi, on peut déplorer le manque de travaux visant à étudier l’effet des manières différenciées de pratiquer la marche ou le vélo sur la santé physique. Si la pratique du vélo à une vitesse moyenne de 16 km/h peut être considérée comme une activité d’intensité modérée (Ainsworth et al. 2011), tout le monde ne pratique pas le vélo de la même manière, avec les mêmes équipements (plus ou moins efficients), la même intensité, etc. Il serait bienvenu d’étudier ces aspects, d’autant plus quand on sait que les effets positifs de l’activité physique sur la santé physique s’avèrent plus marqués à des niveaux d’intensité de pratique élevés (Poitras et al. 2016).

Potentiels de mobilité et bénéfices de l’activité physique.

L’enquête PARMA suggère que les usager·ère·s sont très conscient·e·s des avantages pour la santé des modes actifs. Il ressort même que le vélo est perçu comme plus bénéfique pour la santé que la marche (Papon 2018). Aussi, les résultats d’une étude suisse montrent que la quasi-totalité des cyclistes utilisant le vélo pour se rendre au travail déclarent que la possibilité de faire de l’exercice est importante (21 %) voire très importante (77 %) dans leur choix (Rerat et al. 2018, p. 139). Dans ce cadre, la distinction entre le vélo « pour le transport » et le vélo « pour l’activité physique » semble peu pertinente. Une autre étude réalisée à l’échelle mondiale montre que « la santé et la forme physique » (38 %) est de très loin le facteur qui encourage le plus l’utilisation du vélo en milieu urbain (Useche et al. 2019).

Néanmoins, avant de pouvoir profiter des effets bénéfiques du vélo sur la santé physique, encore faut-il être en capacité physique de s’y adonner, être motivé·e, ne pas avoir peur, et avoir les compétences nécessaires pour pratiquer dans des contextes plus ou moins hostiles. Certes, les cyclistes les plus âgé·e·s sont généralement davantage découragé·e·s par les montées ainsi que par les contextes à volume et/ou vitesse de trafic élevés (Misra et Watkins 2018), mais l’âge est loin de déterminer à lui seul le potentiel de mobilité individuel. En France, près d’un·e français·e sur 2 de 15 ans ou plus ne dispose pas de vélo personnel, et seulement 61 % des vélos en question sont en parfait état de marche (Observatoire des mobilités actives 2013, p. 3). En outre, si — à l’exception de personnes en situation de handicap moteur congénital — tout le monde apprend à marcher, 6,1 % des français·e·s déclarent ne pas savoir faire de vélo et 15,6 % reconnaissent ne pas bien maîtriser leur vélo (Observatoire des mobilités actives 2013, p. 4). Les femmes sont davantage concernées : elles sont significativement plus nombreuses à ne jamais apprendre à faire du vélo d’une part, et bénéficient en moyenne d’un apprentissage plus tardif (39,8 % apprennent avant l’âge de 6 ans contre 47,2 % pour les garçons) d’autre part (ibidem). Cette différence peut sembler anecdotique, mais l’âge d’apprentissage a une grande influence sur l’acquisition des compétences, au point que les résultats d’une étude sur le sujet suggèrent que plus un enfant apprend jeune à faire du vélo, meilleures seront ses compétences (Zeuwts et al. 2016). À ce constat s’ajoute le fait que les femmes sont considérablement plus nombreuses à abandonner le vélo durant l’adolescence (Bonham et Wilson 2012, Goddard et Dill 2014, Underwood et al. 2014, Sayagh 2018). Davantage sujettes à des normes sociales injonctives à se préoccuper de leur image et de leur apparence, à éviter l’activité physique et les prises de risques, à éviter de se déplacer seules et de s’aventurer, les adolescentes n’ont pas les mêmes opportunités réelles de pratiquer le vélo que leurs homologues masculins (Sayagh 2018), ce qui pose la question d’un manque d’équité entre les deux catégories de sexe en matière de santé (Frater et Kingham 2018). D’autant, que le fait de pratiquer durant cette âge de vie favoriserait grandement l’acquisition d’attitudes positives durables à l’égard du vélo ainsi que de niveaux de compétences élevés en la matière (Thigpen et Handy 2018, Thigpen 2019), soit deux aspects associés au choix de se déplacer en modes actifs plutôt qu’en voiture (Abasahl, Kelarestaghi et Ermagun 2018) d’une part, et favorisant des pratiques plus fréquentes (de Geus et al. 2007) d’autre part.

De par des pratiques plus fréquentes et plus constantes aux différentes périodes de la vie, les hommes sont ainsi sensiblement plus nombreux à déclarer des niveaux élevés de compétences cyclistes, aussi bien sur le plan de la conduite du vélo que de son entretien (Observatoire des mobilités actives 2013, p. 4, Heesch et al. 2012, Abasahl et al. 2018). De manière générale, ils sont moins découragés par des contextes de circulation à fort volume de trafic et/ou à vitesse élevée et/ou appelant à circuler au sein du trafic motorisé ou sur des aménagements cyclables non-séparés (Matsuda et al. 2000, Garrard et al. 2008, Nelson et Woods 2010, Winters et Teschke 2010, Akar et al. 2013, Beecham et Wood 2014, Griffin 2015), par les montées (Hood et al. 2011, Eren and Uz 2020), par la peur de l’accident (Handy 2011, Kaufman et al. 2015) et de l’agression (Handy 2011, Heim LaFrombois 2019), ou encore par les trajets lointains (Abasahl, Kelarestaghi et Ermagun 2018), que les femmes, lesquelles sont par ailleurs moins enclines à avoir accès à un vélo personnel (Abasahl, Kelarestaghi et Ermagun 2018), et plus susceptibles de posséder un vélo ancien (Observatoire des mobilités actives 2013). En outre, d’une manière générale, les communautés minoritaires, à faible revenu et moins éduquées auraient un accès plus limité aux vélos en libre service (Ursaki et Aultman-Hall 2016, Braun et al. 2019), tandis que les abonné ·e ·s à ces services seraient majoritairement des hommes, jeunes, instruits, actifs et à revenus élevés (Fishman et al. 2014, Ricci 2015).

Il ressort d’ailleurs que le clivage sexué que nous venons de décrire au sujet des potentiels de pratique du vélo, apparaît plus atténué dans les fractions des classes à fort capital culturel, plus susceptibles de répondre aux injonctions actuelles en s’appropriant le vélo comme un outil de distinction par le respect de l’environnement ainsi que par le contrôle du corps et de la santé (Sayagh 2018, Biernat et al. 2018). En somme, l’ensemble de ces constats invite à confronter les pratiques réelles et perçues, en les mettant systématiquement en perspective avec les rapports à la santé et les caractéristiques sociales des individus : démarche qui permettrait de nourrir la réflexion sur les potentiels de mobilité quotidienne et les inégalités sociales de santé inhérentes.

Champ des possibles et bénéfices de l’activité physique.

Les inégalités sociales croisent des inégalités territoriales. Dans les pays développés, les femmes issues de milieux défavorisés, notamment les immigrées de pays en développement, sont particulièrement susceptibles de ne jamais avoir appris à faire du vélo (Segert et Brunmayr 2018), y compris aux Pays-Bas (Harms 2007), rare pays — avec l’Allemagne et le Danemark — où les femmes font pourtant autant voire plus de vélo que les hommes (Pucher et Buehler 2008). Aussi, on observe en France un clivage sexué particulièrement prononcé dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) les plus défavorisés, où les normes habitantes d’appropriation masculine de l’espace public sont particulièrement prégnantes (Clair 2008, Lapeyronnie et Courtois 2008, Oppenchaim 2011, CGET 2016). Le vélo en tant que mode de transport y est très assimilé à la pauvreté et à l’enfance. Alors que sa pratique tend malgré tout à favoriser l’appropriation de l’espace public des garçons, elle est souvent malvenue chez les filles et les jeunes femmes, dont les mobilités sont particulièrement surveillées et restreintes (Sayagh 2018). Ce constat est d’autant plus préoccupant que si le taux d’obésité est particulièrement important en QPV, cette tendance est davantage prononcée chez les femmes (Jung et al. 2018).

Les recherches sur les effets du territoire et de son aménagement sur les mobilités actives et la santé sont de plus en plus nombreuses. Bassett et al. (2008) ont par exemple montré que les pays qui affichent les parts modales les plus élevées de mobilités actives ont généralement les taux d’obésité les plus faibles. Pucher et al. (2010) ont fait remarquer que cette corrélation s’observe aussi bien au niveau des pays qu’au niveau des États, et des villes. Smith et al. (2008) ont estimé qu’à l’échelle d’un quartier, le fait de doubler la proportion de résident·e·s se rendant à pied au travail réduirait le risque d’obésité de près de 10 %. D’une manière plus générale, il ressort que les individus ont des niveaux de mobilité active plus élevés dans les environnements de type centre-ville, des niveaux « intermédiaires » dans les environnements de type banlieue et petites villes, et des niveaux généralement plus faibles dans les environnements de type rural (Hess 2018). Il ressort également de la littérature que l’amélioration de la marchabilité et des infrastructures cyclables sur un territoire a des effets positifs sur la part des transports actifs et les niveaux d’activité physique (Smith et al. 2017). De plus, les individus résidant dans des quartiers caractérisés par une forte accessibilité aux espaces verts et aux équipements de proximité sont particulièrement susceptibles de marcher ou de faire du vélo (Charreire et al. 2012). Si la densité résidentielle serait aussi bien corrélée à la marche utilitaire qu’à la marche récréative, les collines seraient positivement associées à la marche récréative et négativement à la marche utilitaire (Lee and Moudon 2006). Aussi, une forte densité de population, de courtes distances de déplacement, et — pour les enfants — des projets promouvant des « itinéraires sécurisés vers l’école » constitueraient des facteurs positivement associés à l’usage du vélo, en opposition au danger objectif de la circulation, à de longues distances de déplacement, et de fortes montées (Fraser et Lock 2011). Au sujet de ce tout dernier constat, on peut regretter l’absence de travaux faisant le lien entre la topographie de certains territoires et les effets sur la santé physique des pratiquant·e·s, d’autant plus quand on sait que les montées occasionnent notamment des niveaux d’activité physique vigoureuse, y compris en VAE (Langford et al. 2017, Bourne et al. 2018).

Même si elles n’établissent pas toujours de liens avec la santé, les recherches sur les aménagements cyclables sont particulièrement nombreuses et l’expérience montre que le développement de l’utilisation du vélo nécessite des réseaux cyclables dotés d’infrastructures de haut niveau (Dill et Carr 2003, Akar et Clifton 2009, Schoner et Levinson 2014). Plus rassurantes, les pistes cyclables isolées du trafic automobile, voire en site propre jouent un rôle déterminant (Gårder, Leden et Pulkkinen 1998, Howard et Burns 2001, Habib et al. 2014), en particulier pour promouvoir le vélo chez les femmes (Dill 2009). Les itinéraires sur voies isolées tendent d’ailleurs à être privilégiés par rapport aux options les plus courtes (Lu, Scott et Dalumpines 2018). Par ailleurs, la proximité de stations de vélo en libre-service associée avec la disponibilité de pistes cyclables suscite davantage de motivation à faire du vélo (Dill et Voros 2007, Faghih-Imani et Eluru 2016, Kabak et al. 2018). Plusieurs travaux montrent à ce sujet qu’en opposition à la présence de montées (Hood et al. 2011, Bordagaray et al. 2016, Lu et al. 2018), la proximité d’espaces verts et de zones de loisirs, d’écoles, d’universités, de musées, de centres commerciaux, de zones sportives, de restaurants, d’hôtels ou de centres de transit favorise l’utilisation de vélos en libre service (Kaltenbrunner et al. 2010, Kabak et al. 2018, Wang et al. 2018). L’accès diffère ainsi beaucoup selon les zones de résidence. Mais la tendance (dans les pays développés) à l’expansion des stations dans les quartiers défavorisés (Buck et al. 2013) permettrait d’accroître significativement la pratique du vélo dans ces territoires (Goodman et Cheshire 2014).

Si les études sur l’influence de l’environnement construit sur les mobilités actives sont donc nombreuses, la thèse de Franck Hess montre bien qu’on ne peut compter sur ce seul levier pour augmenter significativement l’utilisation des modes actifs au sein de l’ensemble de la population. Parce que — notamment en banlieue — il est observé que les dispositions[3][3] des individus modulent l’influence de l’environnement construit sur la mobilité active, le chercheur conclut que seule la prise en compte simultanée de l’environnement construit et des dispositions peut permettre de comprendre finement les comportements de mobilité des individus (Hess 2018). Tout porte donc à penser que les recherches visant à établir des liens entre mobilités actives et santé ont tout intérêt à aller dans ce sens. Enfin, la marche et le vélo ne sont pas les seuls modes à encourager pour promouvoir l’activité physique sur un territoire. Comme nous l’avons vu, les transports en commun suscitent bien davantage d’activité physique que les modes motorisés particuliers (Chaix et al. 2014). Or, plusieurs travaux suggèrent qu’un niveau accru d’accès aux transports publics pourrait avoir un effet bénéfique sur la santé en prévenant notamment le développement de l’obésité infantile, même si ce constat mérite encore d’être conforté par des enquêtes de santé à plus large échantillon, d’observations in situ et d’analyses comparatives entre différents domaines d’étude (Xu et al. 2020).

Mobilités du quotidien et exposition au risque d’accident.

Pratiques de mobilité et exposition au risque d’accident.

Si, comme nous l’avons vu, la pratique du vélo est associée à de nombreux bénéfices sur la santé physique, elle ne présente pas que des bienfaits. L’accident de la circulation constitue le risque le plus clairement avéré. En France il est estimé qu’un·e cycliste a huit fois plus de chances d’être victime d’un accident et trois fois plus de chances d’être tué·e, par heure passée sur la route, qu’un·e automobiliste (Billot-Grasset 2015). Quel que soit le critère d’exposition considéré (nombre de déplacements, distance parcourue ou temps de déplacement), le taux d’incidence d’être tué·e à vélo est supérieur à celui des automobilistes et des piéton·ne·s mais bien inférieur à celui des usager·ère·s de deux-roues motorisé (Blaizot et al. 2012). Par ailleurs, celui de la marche n’est supérieur à celui de la voiture que pour le critère de distance (Tableau 1). Si les deux-roues motorisés correspondent au mode le plus dangereux, les transports publics s’avèrent être les plus sûrs (González-Sánchez et al. 2018).

Tableau 1 : estimation du taux d’incidence d’être tué·e selon le type d’usager·ère·s (Rhône). Source : Blaizot et al. (2012)

Au-delà des modes de déplacements eux-mêmes, le risque d’accident de la circulation est associé à des facteurs pluridimensionnels (Meheust 2016). Les vitesses excessives — notamment observées chez les jeunes hommes — sont souvent mises en cause (Lam 2003, Gonzales et al. 2005, Braitman et al. 2008). Au même titre, la conduite dans l’obscurité — qui peut altérer la perception des dangers, les performances visuelles et le temps de réaction des conducteur·rice·s (Jägerbrand et Sjöbergh 2016, Fylan et al. 2018) — constitue un facteur de risque important. D’autant que la faible circulation de nuit — associée aux caractéristiques inhérentes aux conducteur·rice·s qui se déplacent à ces heures — peut conduire à des comportements de conduite à risque tels que les excès de vitesse ou le non-respect des feux (de Bellis et al. 2018, Jensupakarn et Kanitpong 2018).

L’effet des caractéristiques d’éclairage sur le comportement de conduite dépend aussi des conditions météorologiques, qui lorsqu’elles sont défavorables réduisent la visibilité et faussent les fonctions cognitives, augmentant ainsi la probabilité d’erreurs de conduite (Peng et al. 2018, Alnawmasi et Mannering 2019). Aussi, l’impact simultané de conditions météorologiques et de luminosité défavorables est fort susceptible de renforcer le risque d’erreurs de conduite et d’accidents graves (Wali et al. 2018, Fountas et al. 2020). Des constats semblables sont faits au sujet du vélo. Même si certains travaux alertent sur les risques d’accident en cas de météo clémente, qui aurait pour effet de diminuer l’attention des usager·ère·s (de Lapparent 2005), généralement une mauvaise météo, une chaussée glissante (Kim et al. 2007, Kaplan et al. 2014), une pratique nocturne (de Lapparent 2005, Kaplan et al. 2014), sur des routes mal éclairées (Kim et al. 2007) s’avèrent être des facteurs importants de risque de sévérité des blessures (Kim et al. 2007, Boufous et al. 2012), au même titre que les chocs avec une portière de voiture stationnée (Boufous et al. 2012), les collisions frontales (Kim et al. 2007, Boufous et al. 2012), et les collisions avec un véhicule de taille importante (camion et bus) (Kim et al. 2007, Kaplan et al. 2014, Chen, 2015). On peut enfin évoquer le cas des accidents de piéton·ne·s : les tendances faisant le plus consensus étant que ces derniers sont positivement corrélés au volume du trafic ainsi qu’aux kilomètres parcourus par les véhicules motorisés (Wier et al. 2009, Miranda-Moreno et al. 2011, Wang et Kockelman 2013).

Potentiels de mobilité et exposition au risque d’accident.

Mais tout le monde n’est pas exposé·e à ces risques de manière égale. En raison de socialisations sexuées au risque, à l’origine de perceptions et d’attitudes sexuées, les hommes sont particulièrement concernés (Granie 2013). En particulier, les jeunes conducteurs masculins ont tendance à adopter des comportements de conduite plus risqués (Özkan et al. 2006), notamment sur le plan de la vitesse et de la consommation d’alcool au volant (Yadav et Velaga 2020). Ainsi, au niveau mondial, les hommes sont dans leur ensemble près de trois fois plus nombreux que les femmes à mourir dans les accidents de la route : écart qui se trouve encore plus marqué chez les jeunes de classe populaire (Cordellieri et al. 2016, Mannocci et al. 2019).

Les prises de risque ne sont toutefois pas les seuls facteurs associés aux accidents de la circulation, c’est aussi le cas des compétences. De nombreux travaux suggèrent même que les compétences en termes de conduite automobile figurent parmi les principaux facteurs influençant la sécurité au volant (Elander et al. 1993, Lajunen et al. 1998, Martinussen et al. 2014). À titre d’exemple, une étude chinoise montre que les compétences en matière de sécurité sont négativement corrélées avec tous les comportements de conduite « aberrants » (infractions « agressives », infractions « ordinaires », etc.), tandis que les compétences perceptivo-motrices — qui sont positivement corrélées avec le nombre d’années de détention du permis de conduire, la distance parcourue par semaine et la distance parcourue par an — sont négativement corrélées avec les erreurs de conduite (Xu et al. 2018). Cette étude en complète d’autres, qui montrent que les conducteur·rice·s sont particulièrement dangereux·ses en cas de compétences perceptivo-motrices élevées mais de faibles compétences en matière de sécurité (Sümer et al. 2006, Özkan et al. 2006, Martinussen et al. 2014).

Si l’expérience contribue généralement à accroître la capacité d’un·e conducteur·rice à maîtriser son véhicule, elle contribue aussi à accroître sa confiance, ce qui réduit ses préoccupations en matière de sécurité. En particulier, un excès de confiance peut entraîner des comportements de conduite plus dangereux (McKenna et Horswill 2006, Martinussen et al. 2014, Martinussen et al. 2017). Ainsi, alors que les conducteur·rice·s inexpérimenté·e·s mettent davantage l’accent sur la sécurité (Ostapczuk et al. 2017), les conducteur·rice·s plus expérimenté·e·s ont tendance à être impliqué·e·s dans un plus grand nombre d’accidents (Tao, Zhang et Qu 2017). Il ressort par ailleurs que les conducteurs masculins sont plus susceptibles de surestimer leur capacité de conduite (Özkan et al. 2006), qu’ils ont tendance à avoir des niveaux plus élevés de compétences perceptivo-motrices mais des niveaux de compétences plus faibles en matière de sécurité (Martinussen Møller et Prato 2014). Finalement, la sécurité en matière de conduite est à la fois liée à des aptitudes/compétences (par exemple : contrôler son véhicule) et à des motivations, perceptions, valeurs et croyances personnelles, qui influencent fortement les types de comportements adoptés (Lajunen et Summala 1995, Šucha et Černochová 2016, Xu et al. 2018).

Les études concernant le vélo sont également nombreuses. Il en ressort que le risque d’accident constitue le ou l’un des principaux obstacles perçus à son usage (Int Panis 2011, Winters et al. 2012, Papon 2018, Useche et al. 2019), mais qu’une augmentation du nombre de kilomètres parcourus est associée à une diminution du risque perçu (Washington, Haworth et Schramm 2012). Par ailleurs, si certains travaux rapportent que le niveau d’expérience ne peut être associé à une réduction du risque de survenue d’un accident (Hoffman et al. 2010, Bacchieri et al. 2010), d’autres indiquent que les pratiquant·e·s plus expérimenté·e·s (Heesch, Sahlqvist et Garrard 2012) et plus régulier·ère·s y seraient (toutes choses égales par ailleurs) moins sujet·te·s (Gopinath et al. 2016, Useche et al. 2019). Malgré un consensus sur la nécessité de promouvoir des programmes de formation et de perfectionnement, les travaux portés sur le sujet tendent à montrer que ces programmes permettent d’accroître les connaissances en matière de sécurité cycliste sans pour autant que cela se traduise par une réelle amélioration des compétences et par une diminution du risque d’accident et de blessures (Colwell et Culverwell 2002, Richmond et al. 2014). Comme pour la voiture et les deux-roues motorisés, les erreurs et les comportements agressifs sont des facteurs importants dans la prédiction des accidents de vélo, y compris en VAE, ce qui explique en partie que les hommes sont plus susceptibles d’être gravement blessés que les femmes (Kim et al. 2007, Eluru et al. 2008, Bíl et al. 2010, Yao and Wu 2012, Zheng et al. 2019).

Plusieurs études indiquent par ailleurs un lien significatif entre la montée en âge et la sévérité des accidents (Abu-Zidan et al. 2007, Chen 2015) qui serait accru après 40 ans (Kaplan, Vavatsoulas et Prato 2014), 50 ans (Boufous et al. 2012), ou 55 ans (Kim et al. 2007) en fonction des études. De la même manière, le fait d’être sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue, ou de ne pas porter de casque augmente la probabilité de blessures graves et de décès à vélo (Kim et al. 2007, Moore et al. 2011, Boufous et al. 2012, Persaud et al. 2012, Bonyun et al. 2012). Le port du casque, au même titre que le port de vêtements améliorant la conspicuité, sont toutefois des facteurs sujets à controverse quant au risque de survenue d’un accident. De fait, certains travaux suggèrent que ces éléments ne protègent pas contre ce risque (Hoffman et al. 2010, Bacchieri et al. 2010), certains indiquant même qu’en contexte nocturne, les habits de couleur rouge/jaune/orange ainsi que la présence d’une lumière arrière constituent des facteurs de risque, du fait qu’ils pourraient altérer la perception de la distance nécessaire au dépassement des automobilistes (Hagel et al. 2014). D’autres travaux soulignent que les victimes d’accident déclarent une moindre utilisation du casque et de lumières en circulation nocturne (Colwell et Culverwell 2002). Par ailleurs, le port de vêtements réfléchissants (Chen 2015) serait associé à une moindre probabilité de blessures, au même titre que le port d’habits clairs et l’utilisation d’une lumière en contexte diurne (Hagel et al. 2014).

Certains travaux s’intéressent également à l’effet de la qualité d’entretien et de fonctionnement des vélos sur le risque d’accident. Il a notamment été souligné qu’un mauvais entretien mécanique pouvait être associé au risque de chute (Ballham et al. 1985) et qu’il serait même un facteur caractéristique des accidents d’adolescent·e·s (Billot-Grasset 2015). Plus concrètement, il a été montré que des freins défectueux, un défaut de lumière de signalisation (Martínez-Ruiz et al. 2013, Martínez-Ruiz et al. 2014, Billot-Grasset 2015) ou une défaillance au niveau des pédales, de la chaine, de la fourche ou d’une roue (Billot-Grasset 2015) sont des facteurs de risque importants de survenue d’un accident. Mais à notre connaissance, aucune étude n’a analysé cet aspect sous l’angle des inégalités sociales de santé, ni mesurer l’efficacité de mesures de prévention encourageant un meilleur entretien des vélos. Par ailleurs, une récente revue de littérature déplore que les liens entre les comportements à risque en VAE et les accidents de la circulation devraient être explorés à l’aide d’analyse de données de plus grande envergure. Au même titre, les auteurs regrettent que les relations entre la conscience du risque, les prises de risque et les accidents ne soient pas davantage étudiées par le biais de mesures du risque perçu, d’attitude face au risque et de tolérance au risque (Ma et al. 2019).

Enfin, la littérature récente encourage à formuler des hypothèses par rapport aux mobilités du futur. À titre d’exemple, si les études actuelles montrent que les femmes se déclarent plus craintives à l’égard des voitures autonomes (Hulse et al. 2018, Rice and Winter 2019, Wang et al. 2020), ces dernières sont censées réduire l’effet des conduites à risque. Ainsi, il est tentant de faire l’hypothèse que leur développement participera à réduire les différences sexuées d’exposition aux accidents routiers.

Champ des possibles et exposition au risque d’accident.

Si les risques d’accident peuvent ainsi être associés à des potentiels de mobilité différenciés, ils peuvent aussi être mis en lien avec des éléments relatifs au champ des possibles. Par exemple, pour ce qui concerne les caractéristiques du réseau routier, de nombreux travaux montrent que les densités des rues et des trottoirs locaux sont associées de manière négative au nombre d’accidents impliquant des piéton·ne·s (Miranda-Moreno et al. 2011, Siddiqui et al. 2012, Wang et Kockelman 2013, Chen et Zhou 2016) ce qui suggère que le fait de faciliter la circulation des piéton·ne·s par des mesures relatives aux trottoirs et des densifications des rues locales permet de réduire le nombre d’accidents de piéton·ne·s. De la même manière, la proportion de zones en pente ainsi que de zones avec une grande proportion d’utilisation industrielle du sol sont associées à une fréquence d’accidents piéton·ne·s plus faible (Chen et Zhou 2016). À l’inverse, une plus grande densité d’itinéraires de transport en commun, une meilleure qualité de service de transport en commun (Miranda-Moreno et al. 2011, Ukkusuri et al. 2012, Wang et Kockelman 2013, Chen et Zhou 2016), la densité des signaux et des passages piéton·ne·s (Moudon et al. 2011), la densité des intersections à 4 ou 5 voies (Pulugurtha et Sambhara 2011, Siddiqui et al. 2012, Ukkusuri et al. 2012, Chen et Zhou 2016), la densité des écoles (Ukkusuri et al. 2012, Narayanamoorthy et al. 2013), la densité de population (Moudon et al. 2011, Pulugurtha et Sambhara 2011, Wang et Kockelman 2013), et les zones où la limitation de vitesse est en moyenne plus élevée (Chen et Zhou 2016), sont associées à une plus grande fréquence d’accidents de piéton·ne·s.

Concernant les cyclistes, il ressort notamment que les pistes cyclables séparées des voies de circulation (de Lapparent 2005, Hoffman et al. 2010, Chen 2015), une diminution de la vitesse des véhicules motorisés (Grundy et al. 2009, Harris et al. 2013, Chen 2015), les double-sens cyclables (Vandenbulcke, Thomas et Int Panis 2014), ou encore la présence d’éclairages (Kwan et Mapstone 2002, Wanvik 2009) participent à limiter le risque d’accident. Aussi, la littérature dédiée indique que lorsque le nombre de cyclistes devient plus important sur une zone donnée — au sein de laquelle les conducteur·rice·s se sont habitué·e·s à leur présence — le risque individuel de collision devient moindre pour les cyclistes : c’est le principe de la théorie du Safety in Numbers (sécurité par le nombre) (Jacobsen 2003, Robinson 2005, Blaizot et al. 2013, Cai et al. 2020).

A contrario, les grandes artères de circulation avec des véhicules en stationnement, notamment lorsque les pistes cyclables sont accolées aux places de stationnement des voitures[4][4] (Pai 2011, Johnson et al. 2013, Teschke et al. 2014, Vandenbulcke et al. 2014), les ronds-points et carrefours (Harris et al. 2013, Vandenbulcke et al. 2014, Lovelace et al. 2016), le nombre et la complexité des intersections (Siddiqui et al. 2012, Dumbaugh et al. 2013, Vandenbulcke et al. 2014, Chen 2015), notamment en cas de présence d’arrêts de bus ou de passages piéton·ne·s à ces intersections (Chen 2015, Kim et Kim 2015, Miranda-Moreno et al. 2011), une forte densité de trafic (Harris et al. 2013, Kim et Kim 2015, Strauss et al. 2015), des pistes mal entretenues (Bas de Geus et al. 2012), les ponts dépourvus d’aménagements cyclables (Vandenbulcke, Thomas et Int Panis 2014), ou encore la présence de rails de tramway au milieu de voies de circulation partagée (Vandenbulcke et al. 2014, Teschke et al. 2016) sont autant d’éléments favorisant la survenue d’accidents à vélo.

On peut ajouter que les zones rurales (Kaplan et al. 2014, Gaudet et al. 2015), l’absence de limitation de vitesse, ou une limitation de vitesse relativement haute pour les véhicules motorisés (Crocker et al. 2012, Kaplan et al. 2014, Kim et Kim 2015) ainsi que les routes mal éclairées (Boufous et al. 2012, Kim et Kim 2015) constituent des facteurs de risque de sévérité des accidents pour les cyclistes.

On peut aussi évoquer le sujet de la législation sur le port obligatoire du casque à vélo[5][5]. Bien que celle-ci augmente significativement le taux de port du casque sur un territoire (Karkhaneh 2006) et participe à réduire les blessures à la tête chez les cyclistes impliqué·e·s dans des accidents (Macpherson et Spinks 2008, Olivier et Creighton 2016), elle devrait — pour accroître son efficacité — systématiquement être complétée par d’autres mesures (Hoye 2018), en particulier l’amélioration des infrastructures cyclables, sans quoi elle risque de freiner la part modale du vélo (Rissel et Ming Wen 2011).

En outre, cette partie est l’occasion d’évoquer les effets de la baisse de vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central en France métropolitaine (depuis le 1er juillet 2018). Deux ans après sa mise en place, on observe une baisse très significative (de 12 %) du nombre de tué·e·s sur le réseau concerné par la mesure (Cerema 2020). Enfin, on peut souligner le fait que pour les piéton·ne·s (Licaj 2011, Kravetz et Noland 2012, Lu 2013, Godillon et Vallée 2015) comme pour les cyclistes (Licaj 2011) et les automobilistes (Licaj 2011, Cordellieri et al. 2016, Mannocci et al. 2019), la littérature tend à indiquer que les zones d’habitation socio-économiquement défavorisées sont particulièrement concernées par les accidents de la circulation, ce qui encourage une fois de plus à appréhender les liens entre mobilité et santé en termes de justice spatiale/environnementales et d’inégalités sociales de santé.

Mobilités du quotidien et exposition à la pollution (atmosphérique et sonore).

Pratiques de mobilité et exposition à la pollution.

En parallèle du risque d’accident, le fait de se déplacer expose à la pollution de l’air, dont la circulation est d’ailleurs — en zone urbaine — l’une des principales sources. Cette exposition constitue un problème de santé publique associé à divers effets sur la santé physique, notamment les maladies cardiovasculaires et respiratoires, le cancer, les complications de grossesse et les issues de naissance défavorables (HEI 2010). Tout en soulignant l’hétérogénéité des contextes et des approches méthodologiques, les conclusions de plusieurs revues de littérature sur le sujet suggèrent que dans le cadre de mobilités pendulaires, les modes de transport motorisés exposent davantage aux principaux polluants (monoxyde de carbone, noir de carbone, dioxyde d’azote, particules fines et grossières) que les aux modes actifs (marche ou vélo) (Kaur et al. 2007, Karanasiou et al. 2014). À l’inverse des automobilistes, les piéton·ne·s s’avèrent généralement être les moins exposé·e·s (de Nazelle, Bode et Orjuela 2017). En considérant les paramètres respiratoires (notamment l’augmentation de la ventilation pulmonaire liée à l’effort physique) et la durée des trajets, les doses de polluants inhalées et absorbées s’avèrent toutefois plus élevées chez les cyclistes et les piéton·ne·s, mais pas au point de compenser les effets positifs de l’activité physique induite (Int Panis et al. 2010, Nyhan et al. 2014, Mueller et al. 2015, Cepeda et al. 2017).

D’une manière générale, les usager·ère·s du bus et les cyclistes sont moins exposé·e·s lorsqu’il·elle·s circulent sur des voies de bus ou des pistes cyclables séparées ou lorsqu’il·elle·s se déplacent près du trottoir (Kaur et al. 2005, Bigazzi et Figliozzi 2014, Karanasiou et al. 2014, de Nazelle et al. 2012, Ramos et al. 2016). Aussi, c’est parce qu’il·elle·s se déplacent généralement sur le trottoir que les piéton·ne·s sont moins exposé·e·s que les cyclistes (Kaur et al. 2005, Kaur et al. 2007, Cepeda et al. 2017). Par ailleurs, l’utilisation de la voiture ou du bus sur des itinéraires surchargés avec des niveaux d’émission élevés expose d’autant plus que la longueur du trajet est importante, que celui-ci est effectué au ralenti (Kaur et al. 2007, Huang et al. 2012, Karanasiou et al. 2014), et que les fenêtres sont ouvertes (Gulliver et Briggs 2007, Wu et al. 2013, Zhang et al. 2018). Aussi, la saison, les conditions météorologiques et la période de la journée ne sont pas sans influence sur les niveaux d’exposition. Par exemple, les conditions climatiques autour d’une vague de chaleur influencent la formation photochimique et l’accumulation de substances polluantes (smog d’été) et participent donc à la formation d’ozone et accessoirement de particules fines. Toutefois, une augmentation similaire de la concentration de PM10[6][6] a un effet nocif différent en fonction des conditions climatiques. De ce fait, le risque de décès précoce dû aux particules fines varie entre les saisons. Bien que les concentrations de PM10 atteignent des valeurs plus élevées en hiver, l’association entre décès et PM10 est beaucoup plus forte en été (Nawrot et al. 2007).

Au même titre que la pollution de l’air, la pollution sonore générée par les modes de transport n’est pas à négliger. Le bruit constitue la première nuisance perçue par les citadin·e·s français·e·s (Mahdjoub-Assaad 2018), et la circulation est l’un des environnements où les seuils de niveaux sonores établis[7][7] pour limiter les impacts sanitaires sont souvent dépassés (Kraus et al. 2015). Les principaux effets connus du bruit sur la santé physique sont les maladies respiratoires (Niemann et al. 2006), la perte auditive (Lie et al. 2016), le déséquilibre hormonal (Selander et al. 2009), l’hypertension (van Kempen et Babisch 2012), les troubles du sommeil (Hume, Brink et Basner 2012), le risque d’accident vasculaire cérébral à long terme (Halonen et al. 2015), les maladies cardiovasculaires (Selander et al. 2009) et le diabète de type 2 (Sørensen et al. 2013, Dzhambov 2015). Comme le montrent plusieurs études, l’exposition à des niveaux sonores jugés nocifs n’épargne aucun mode de déplacement (Neitzel et al. 2009, Taimisto et al. 2013, Kraus et al. 2015, Kreuzberger et al. 2019). Toutefois, les déplacements en deux-roues motorisé sont particulièrement concernés par des niveaux sonores élevés, suivis par ceux en métro, en tramway, puis par ceux à vélo. À l’inverse, les expositions personnelles les plus faibles sont généralement mesurées pour les trajets en voiture, en train, à pied et en bus (Kreuzberger et al. 2019).

Potentiels de mobilité et exposition à la pollution.

La pollution, en fonction de la manière dont elle est perçue, peut avoir une influence non négligeable sur le potentiel de mobilité des individus. Selon l’étude PARMA, la pollution de l’air perçue constitue même le premier obstacle cité pour la marche (loin devant les accidents), et le troisième obstacle cité pour le vélo (après les accidents et le manque d’infrastructure) (Papon 2018). Les usager·ère·s de modes actifs ainsi que ceux·celles des transports publics se déclarent plus gêné·e·s par la pollution de l’air du trafic routier que les usager·ère·s motorisé·e·s (Mahdjoub-Assaad 2018).

Par ailleurs, on sait que des réglages de ventilation contrôlée dans les voitures aident à extraire et à filtrer les particules fines et grossières du microenvironnement du véhicule (Gulliver et Briggs 2007, Briggs et al. 2008, Saksena et al. 2008, Wu et al. 2013), notamment dans des contextes fortement contaminés (Gulliver et Briggs 2004, Huang et al. 2012). On sait aussi que les personnes qui se déplacent avec une voiture à ventilation contrôlée ont une exposition accrue au monoxyde de carbone (Dor et al. 1995, Kaur et al. 2005, Huang et al. 2012, Ramos et al. 2016), liée à l’auto-pollution due à la filtration des émissions environnantes et de la combustion du moteur. Mais d’une part, tout le monde n’est pas équipé de la même manière, et d’autre part, tout le monde ne dispose pas de ces connaissances. Une étude récente a d’ailleurs observé une corrélation entre l’âge des résident·e·s, leur niveau d’éducation et leur taux de connaissance/sensibilisation à la pollution de l’air, la sensibilisation étant particulièrement faible chez les plus âgé·e·s et les moins éduqué·e·s (Odonkor et Mahami 2020). Si certaines études suggèrent que ces formes de perception ne sont pas significativement influencées par le milieu socioéconomique (Mahdjoub-Assaad 2018), d’autres soutiennent le contraire, voire indiquent que la sensibilisation aux risques sanitaires de la pollution de l’air tend à croitre avec le niveau d’étude (Badland et Duncan 2009). Aussi, les individus présentant des symptômes de santé, les fumeur·se·s ainsi que les femmes seraient plus susceptibles de percevoir des conditions de qualité de l’air défavorables (Pantavou et al. 2018). Ainsi, par temps pollué, ceux qui persistent à faire du vélo seraient plus souvent des hommes de plus de 30 ans à faible revenu (Zhao et al. 2018).

On fait des constats semblables au sujet de la pollution sonore. Si lors des déplacements, les modes de transport influencent davantage les niveaux d’exposition et de perception que le milieu socioéconomique (Mahdjoub-Assaad 2018), la plupart des travaux soutiennent que la sensibilisation aux risques sanitaires de la pollution sonore du trafic ainsi que les niveaux d’exposition et de gêne occasionnée au quotidien sont corrélés aux milieux socioéconomiques. À l’inverse du niveau de sensibilisation, les niveaux d’exposition et de gêne tendraient à décroitre avec le niveau d’éducation et de revenu (Hoffmann et al. 2003, Abo-Qudais et Abu-Qdais 2005, Lam et Chan 2008). La situation conjugale et la catégorie de sexe auraient également une incidence significative : les personnes célibataires — notamment les femmes — se déclarant particulièrement gênées par le bruit de la circulation (Abo-Qudais et Abu-Qdais 2005, Dratva et al. 2010). Cependant, on ne peut que déplorer le manque de travaux explorant comment les connaissances et les perceptions de la pollution liée aux transports se traduisent en termes de potentiels et de comportements de mobilité.

Champ des possibles et exposition à la pollution.

L’exposition à la pollution liée aux transports est également fortement déterminée par le champ du possible offert aux individus. Par exemple, l’exposition personnelle aux particules lors de déplacement en bus varie considérablement d’une ville à l’autre, en fonction de l’intensité du trafic dans différentes zones et du type de bus utilisé. De plus, comme c’est le cas pour les déplacements en voiture, l’exposition à des niveaux élevés de particules et de carbone dépendra fortement de l’itinéraire emprunté, car les rues très fréquentées contiennent des niveaux ambiants plus élevés d’émissions de gaz d’échappement des véhicules voisins. Aussi, la contamination émise par les bus sera moindre dans les villes où le parc de bus est moderne et écologique, équipé de systèmes de piégeage au gaz naturel, hybride ou diesel avec filtre (Zuurbier et al. 2010). Autre exemple, si l’air du métro est anormalement riche en métaux, en particulier en fer (mais aussi en manganèse, chrome, cuivre, nickel, zinc, antimoine et arsenic), plusieurs facteurs influencent les concentrations de particules, tels que la profondeur des stations, leur conception, le type de ventilation (non forcée/forcée), la climatisation à l’intérieur des trains, les types de freins (électriques/plaquettes de frein conventionnelles) et de roues (caoutchouc contre acier), la fréquence des trains, ou encore la présence ou l’absence de systèmes de portes palières (Nieuwenhuijsen et al. 2007, Querol et al. 2012). Alors que l’exposition globale est généralement faible dans les trains de surface, les taux de particules en suspension dans l’air (PM10, PM2,5[8][8]) des enceintes ferroviaires souterraines sont particulièrement élevés (ANSES 2015, Xu et Hao 2017), en particulier sur les quais (Nieuwenhuijsen, Gómez-Perales et Colvile 2007), ce qui n’empêche pas que certains systèmes de métro présentent des niveaux d’exposition aux particules plus faibles que ceux des autres modes de transport (Chan et al. 2002, ANSES 2015).

Concernant les transports motorisés routiers (aussi bien particuliers que collectifs), les travaux soulignent notamment que les carrefours et les feux de circulation sont des zones particulièrement exposées (Gulliver et Briggs 2007, Dirks et al. 2012, Onat et Stakeeva 2013, Li et al. 2015, Yan et al. 2015), et qu’à l’inverse, une configuration de rues en forme de canyon réduit l’action dispersive et catalytique des facteurs environnementaux et météorologiques, en piégeant les polluants (Farrar et al. 2001, McNabola et al. 2008, Li et al. 2015). Au sujet des mobilités actives, on peut souligner à titre d’exemple que les villes qui s’équipent de systèmes de vélo en libre-service réduisent de manière significative la pollution atmosphérique et sonore (Rojas-Rueda et al. 2011, Woodcock et al. 2014, Zhang et al. 2015, Bajracharya et al. 2019, Cai et al. 2019).

Finalement, il faut retenir qu’il est difficile de classer les modes de transport par ordre d’exposition, d’une part car chaque scénario comporte de nombreux déterminants incontrôlables, d’autre part parce qu’il existe des lacunes notables en matière de recherche. En observant que le choix des itinéraires a un impact déterminant sur l’exposition des écolier·ère·s, Ma et al. (2020) suggèrent que les études futures devraient davantage se concentrer sur l’exposition dans le métro et les trains, sur l’étude de la fiabilité des méthodes de simulation actuelles, et sur l’exploration de la question de la justice environnementale. Selon leurs conclusions, trois outils sont prometteurs pour y parvenir, à savoir les smartphones, la fusion de données et les SIG.

Notons enfin que la question de la justice environnementale se pose tout autant pour la pollution sonore. Si les résident·e·s de quartiers défavorisés présentent généralement les risques les plus élevés d’exposition nocive à la pollution atmosphérique (Mueller et al. 2018), les niveaux d’exposition et de gêne à la pollution sonore tendraient à croitre avec l’ancienneté des logements et leur proximité avec de gros axes routiers (Hoffmann et al. 2003, Abo-Qudais et Abu-Qdais 2005, Lam et Chan 2008).

Mobilités du quotidien et qualité de vie (mentale et sociale).

Pratiques de mobilité et qualité de vie (mentale et sociale).

Qu’elles soient perçues/vécues positivement ou négativement et qu’elles soient sources d’inclusion ou d’exclusion sociale, les mobilités quotidiennes impactent la qualité de vie des individus. Les études menées dans différents contextes géographiques tendent à montrer que la satisfaction à l’égard des modes de déplacement actifs est plus élevée que celle à l’égard de la voiture, elle-même supérieure à celle des transports publics (Duarte et al. 2010, Wener et Evans 2011, Olsson et al. 2013, Ettema et al. 2016, De Vos et al. 2016, Brutus et al. 2017, Al-Ayyash et Abou-Zeid 2019, Sattler et al. 2020). Bien que les piéton·ne·s seraient les moins exposé·e·s au stress, notamment en raison d’un plus grand sentiment de confort et de sécurité (Legrain, Eluru et El-Geneidy 2015), les cyclistes sont souvent considéré·e·s comme les plus satisfait·e·s, y compris pour des déplacements pendulaires (Willis et al. 2013, St-Louis et al. 2014, Martin et al. 2014, Avila-Palencia et al. 2017, Smith 2017, Singleton 2019, Wild et Woodward 2019). Selon Wild et Woodward (2019), ce constat proviendrait à la fois d’un degré élevé de contrôle des déplacements et de « fiabilité de l’heure d’arrivée », de niveaux agréables de stimulation sensorielle, des effets « bien-être » de l’exercice à intensité modérée, et des possibilités d’interaction sociale offertes (Wild et Woodward 2019).

La voiture offrirait une plus grande satisfaction que les transports publics collectifs grâce aux sentiments de protection, de commodité, de confort, de fiabilité/ponctualité, d’autonomie, de prestige et d’estime de soi (Hiscock et al. 2002, Mann et Abraham 2006, Gardner et Abraham 2007), notamment lorsque son utilisation n’est pas contrainte (Susilo et Cats 2014, Al-Ayyash et Abou-Zeid 2019).

Toutefois, les effets des pratiques de mobilité sur la satisfaction et la qualité de vie ne diffèrent pas seulement en fonction des modes de déplacement. Parce que les activités sociales sont généralement compromises en premier lieu lorsque les temps de trajet augmentent (Farber et Páez 2011), la distance et la durée des trajets sont généralement associées à une qualité de vie inférieure (Putnam 2000, Besser et al. 2008, Stutzer et Frey 2008, Susilo et al. 2012, Delmelle et al. 2013, Rüger et al. 2017, Pradhan et Sinha 2017), notamment lorsqu’elles se traduisent par une diminution du temps destiné aux loisirs, aux conjoint·e·s, aux enfants et aux ami·e·s (Christian 2012). Aussi, d’innombrables travaux soulignent l’importance du stress lié aux déplacements domicile-travail (ou lieu d’études), qui a été mis en lien avec un sommeil de mauvaise qualité (Walsleben et al. 1999, Gottholmseder et al. 2009, Hansson et al. 2011, Pradhan et Sinha 2017, Petrov et al. 2018, Hori et al. 2020), un état d’épuisement (Hämmig et al. 2009, Hansson et al. 2011), le nombre de congés pour maladie (Hansson et al. 2011), la dépression (Gee et Takeuchi 2004), la capacité de concentration (Wener et al. 2005), ou encore les performances professionnelles (Koslowsky et al. 1995, Legrain et al. 2015).

À l’inverse des déplacements professionnels et scolaires, les déplacements « d’agrément » ou de loisirs sont généralement associés à des effets psychosociaux plus positifs (van Rooy 2006, De Vos et al. 2016, Glasgow et al. 2018). Mais de nombreux travaux soulignent que tous les types de déplacement, y compris les trajets domicile-travail, peuvent être perçus et vécus positivement (Mokhtarian et Salomon 2001, Ory et al. 2004, Bergstad et al. 2011, Ettema et al. 2012, Olsson et al. 2013, Morris et Guerra 2015), notamment lorsqu’on se déplace pour le plaisir de se déplacer, pour se relaxer, pour s’accorder du temps pour penser, pour se vider la tête, pour le frisson de la vitesse, pour la nouveauté, l’aventure, la beauté des paysages, pour se libérer du stress du travail ou de la maison, ou encore pour le plaisir des activités menées pendant le déplacement (musique, téléphone, lecture, etc.)[9][9] (Mokhtarian et Salomon 2001, Ettema et al. 2012). Ainsi, mêmes cumulés, la distance des déplacements et le motif travail ne sont pas nécessairement sources de stress. Une étude réalisée par Hansen et Nielsen (2014) montre par exemple que les cyclistes qui font la navette entre leur domicile et leur lieu de travail sur de longues distances (> 5 km) font état d’un moindre stress, d’une humeur ainsi que d’expériences particulièrement positives, notamment liées à l’exercice physique et la réduction des coûts et du temps de déplacement (Hansen et Nielsen 2014).

Au-delà des propriétés et des motifs de déplacement, plusieurs travaux indiquent les effets non négligeables de certaines conditions de déplacement. Par exemple, Morris et Hirsch (2016) ont montré que la circulation aux heures de pointe était associée à davantage de fatigue et de stress, probablement en raison d’une plus grande imprévisibilité due à la congestion (Wener et Evans 2011) et au comportement des autres conducteur·rice·s (Rasmussen, Knapp et Garner 2000). Concernant les transports publics en particulier, les exigences liées aux correspondances, les temps d’attente et les retards lors des changements de lignes s’avèrent particulièrement éprouvants sur le plan émotionnel (Wardman, Hine et Stradling 2001). De plus, le niveau de satisfaction diminuerait en fonction de la densité de population, en raison de trois facteurs principaux : le fait de devoir voyager debout, l’appauvrissement de la valeur du temps et la promiscuité avec les autres usager·ère·s (Haywood, Koning et Monchambert 2017). On peut toutefois souligner que les individus qui communiquent avec d’autres personnes pendant leur trajet sont généralement plus satisfaits, voire se déclarent de meilleure humeur que les autres (Susilo et al. 2012, Glasgow et al. 2018) : constat qui rappelle que les mobilités peuvent aussi être des temps de sociabilités.

Potentiels de mobilité, et qualité de vie (mentale et sociale).

La qualité de vie (mentale et sociale) induite par les mobilités dépend également fortement des potentiels des individus (ou groupes d’individus) à se mouvoir. De nombreux travaux ont mis en évidence les liens entre la pauvreté, le désavantage en termes de transports, l’accès aux services clés et l’exclusion économique et sociale (Kenyon et al. 2002, Hodgson et Turner 2003, Motte-Baumvol  2007). Dans le contexte de la grande couronne francilienne, où l’automobile est déterminante en termes d’accès aux services, Benjamin Motte-Baumvol (2007) a par exemple montré que les ménages non-motorisés restent socialement marginalisés par la dépendance automobile. Mais les ménages motorisés ne sont pas à l’abri de ce risque dans la mesure où ils sont contraints de limiter strictement le nombre de kilomètres qu’ils parcourent quotidiennement en voiture pour des raisons financières, les privant d’accéder à la norme de mobilité automobile déterminée par les autres ménages. De nombreux travaux soulignent par ailleurs que la possession d’une voiture — vectrice de sociabilité (Marchal 2014) et de participation aux activités sociales (Banister et Bowling 2004) — peut avoir un impact très positif sur la satisfaction sociale (Delmelle, Haslauer et Prinz 2013). Notamment chez les jeunes, le fait de posséder (ou même d’envisager de posséder) une voiture est souvent considéré comme le moyen d’entretenir et de développer des réseaux de sociabilité et d’amitié (Carrabine et Longhurst 2002), alors qu’à l’inverse, l’absence de voiture peut éveiller des sentiments d’exclusion sociale (Carrabine et Longhurst 2002). Mais, dans un contexte de récession économique associé à des difficultés d’insertion professionnelle, le coût du permis de conduire, auquel s’ajoutent les coûts d’acquisition, d’assurance et d’usage du véhicule, se révèlent dissuasifs pour nombre de jeunes. En Espagne, pendant la dernière crise économique, qui a fortement réduit les revenus des ménages, entre 2008 et 2012, le nombre de nouveaux permis de conduire délivrés a ainsi chuté de près de moitié (Ray et al. 2015).

Toutefois, les liens entre les potentiels de mobilité et la qualité de vie ne se réduisent pas à des inégalités de ressources matérielles ou financières. Si l’injonction croissante à davantage de mobilité (Bacqué et Fol 2007) et de flexibilité (Kaufmann et al. 2012) appelle des attitudes et des compétences particulières, tous les individus et groupes d’individus n’en sont pas dotés. On peut par exemple souligner que nombre de candidat·e·s sont en grande difficulté avec les épreuves théoriques et/ou pratiques du permis de conduire, ce qui contribue à retarder le processus d’obtention et à en alourdir le coût (Lebrun et al. 2008). Mais il ne faut pas penser que les compétences en matière de conduite automobile favorisent nécessairement une meilleure qualité de vie. Comme le montre certains auteurs, l’appropriation progressive de la voiture par les femmes n’est pas nécessairement émancipatrice. De la même façon que les objets ménagers peuvent se trouver intensificateurs du travail domestique, l’automobile semble devenir le véhicule de l’extension de la sphère du travail féminin (Wachs 2000, Demoli 2014). En tout cas, les femmes se déplacent davantage selon des contraintes domestiques que les hommes, dont les mobilités sont davantage orientées par le travail rémunéré et les loisirs (Pappalardo et al. 2010, Demoli 2014, Tilley et Houston 2016, Demoli et Gilow 2019).

De nombreux travaux ont également mis en évidence les peurs particulières de harcèlements et d’agressions sexuelles (Warr 1985) que les femmes éprouvent à l’idée de se déplacer dans l’espace public. Ces craintes sont alimentées par les représentations dominantes, qui — tout en affichant le domicile comme un havre de paix et l’extérieur comme un lieu risqué pour les femmes — continuent d’associer « hommes et extérieur » et « femmes et intérieur » (Lieber 2008). En parallèle, les « peurs sexuées » (Lieber 2008) des femmes sont renforcées par la spécificité de leur expérience quotidienne des espaces publics, fortement structurée par les violences des hommes à leur égard (Lebugle et al. 2017). Ces violences fonctionnent comme des rappels à l’ordre sexués (Lieber 2008) qui affectent leur sentiment de vulnérabilité. Dans la rue, dans les transports publics (Macmillan, Nierobisz et Welsh 2000, Yavuz et Welch 2010, Johnson et Ebony 2015, Gardner et al. 2017), voire quel que soit le mode transport (Glasgow et al. 2018), les femmes déclarent se sentir moins en sécurité que les hommes. Elles sont ainsi plus susceptibles de restreindre leur utilisation de l’espace public, notamment si elles ont été victimes de harcèlement sexuel (Valentine 1989, McCarty et al. 2014, Vera-Gray 2016, Bastomski et Smith 2017). La crainte de la criminalité — fortement associée à la peur du harcèlement sexuel — constitue l’une des principales raisons pour lesquelles les femmes choisissent de ne pas utiliser les transports publics (Lynch et Atkins 1988, Loukaitou-Sideris et Fink 2009, Osmond et Woodcock 2015). Les stratégies de « préparation anticipatrice » (Gardner 1990) ou de « contournement du risque » (Lieber 2008) sont nombreuses. Notamment basées sur la présentation de soi, l’évitement d’espaces, la planification détaillée d’itinéraire, la recherche d’escorte, voire l’auto-enfermement (en particulier la nuit), elles affectent considérablement le potentiel de mobilité des femmes. Compte tenu de l’ampleur du problème, il peut sembler surprenant que le phénomène ne soit pas appréhendé comme un problème de santé publique, d’autant quand on sait que le harcèlement sexuel a des répercussions considérables sur la santé émotionnelle et mentale (Gekoski et al. 2015).

Notons enfin que toutes les femmes ne sont pas exposées de la même manière au problème dont il est question : il ressort notamment que « les jeunes femmes des grandes villes » (Lebugle et al. 2017) sont davantage concernées. Mais surtout, toutes les femmes ne disposent pas des mêmes ressources pour y faire face. Par exemple, toutes n’ont pas accès à une voiture, à utiliser « comme un moyen de protection pour affronter la nuit » (Raibaud 2015, p. 8), et toutes ne sont pas non plus disposées à percevoir et à s’approprier le vélo comme un partenaire protecteur atténuant les risques d’agression sexuelle de rue, soit une forme d’appropriation généralement observée chez les femmes cyclistes les plus expérimentées (Sayagh 2018). Il est intéressant de noter à ce sujet que les femmes ayant des compétences à vélo qualifiées de « fortes et sans peur » ont moins tendance que les hommes à se déplacer en voiture (Abasahl, Kelarestaghi et Ermagun 2018), d’où l’intérêt d’encourager les programmes visant à développer les compétences cyclistes en prenant en compte les questions de genre.

Champ des possibles et qualité de vie (mentale et sociale).

Malgré les constats qui viennent d’être faits, le harcèlement sexuel dans l’espace public et les transports publics est à la fois sous-déclaré (Neupane et Chesney-Lind 2014, Gekoski et al. 2015), sous-étudié, et souvent non inclus dans les statistiques criminelles (Hsu 2011, Gekoski et al. 2015). Si quelques études indiquent bien que la sûreté et la sécurité (Fellesson et Friman 2012, Spears et al. 2013, van Lierop et al. 2018) constituent d’importants facteurs de satisfaction ou le bien-être des usager·ère·s des transports publics, la plupart des travaux suggèrent que la ponctualité, la fiabilité, la fréquence du service et la vitesse de déplacement s’avèrent être les caractéristiques les plus déterminantes (de Oña et al. 2015, Eboli et Mazzulla 2015, van Lierop et al. 2018, Ingvardson et Nielsen 2019, Allen et al. 2020), même si plusieurs études soulignent aussi l’importance du confort (Guirao et al. 2016, Allen et al. 2020), du comportement du personnel (de Oña et al. 2013, van Lierop et al. 2018), de la propreté (Eboli et Mazzulla 2015, Allen et al. 2020), et de la disponibilité des informations (Eboli et Mazzulla 2015, van Lierop et al. 2018, Allen et al. 2020).

Mais en fonction de leur zone de résidence, les individus n’ont pas le même accès aux différents modes de transport — et en particulier aux transports publics — ce qui peut constituer un frein à leur épanouissement social. Depuis les années 2000, de multiples travaux ont mis en exergue le rôle du manque d’accès aux ressources incarné par certains territoires dans les processus d’exclusion sociale. Dans des contextes très diversifiés, il a été montré que les individus et groupes d’individus résidant dans les quartiers les plus pauvres, ont généralement un moindre accès aux équipements, aux services, aux commerces et à l’emploi, qui freine en retour leurs possibilités d’intégration ou d’inclusion sociale (Church, Frost et Sullivan 2000, Hine et Mitchell 2001, Le Breton 2005, Clifton 2004, Preston et Rajé 2007, Currie et Stanley 2008, Delbosc et Currie 2011, Stanley et al. 2011, Lucas 2012, Schwanen et al. 2015).

Dans le contexte de l’Île-de-France, Sandrine Wenglenski (2004) a montré que le marché de l’emploi accessible en une heure de transport est nettement plus élevé pour les cadres (67 %) que pour les employé·e·s (51 %), traduisant à la fois le plus grand accès des premiers à la voiture et les meilleures performances de celle-ci dans l’accès à l’emploi. La chercheuse montre que la moindre accessibilité depuis les zones périphériques explique en grande partie cet écart : les employé·e·s étant à la fois davantage résident·e·s de ces secteurs et moins motorisé·e·s que les cadres. Cette approche en termes d’accessibilité reflète les inégalités de contraintes et de choix entre les groupes sociaux en fonction de leur zone de résidence. En cas de perte d’emploi, les individus aux ressources modestes résidant en périphérie peuvent rapidement se retrouver dans une impasse.

La littérature souligne par ailleurs que le fait de résider dans un quartier offrant un haut niveau de service de transport en commun aurait un impact positif sur la participation aux activités sociales (Banister et Bowling 2004), voire sur la satisfaction sociale (Preston et Rajé 2007, Delmelle et al. 2013). En améliorant l’accès des gens à l’éducation et aux activités d’emploi, en favorisant la cohésion communautaire, ainsi que l’accès aux activités sociales et récréatives, un transport en commun de haute qualité pourrait même réduire le risque de stress émotionnel (Allen 2008, Litman 2010).

Certains travaux suggèrent également que des quartiers plus denses et piétonniers, avec une utilisation mixte des sols, facilitent les interactions sociales entre les résident·e·s et — par conséquent — favorisent la cohésion sociale (Talen 1999, Bramley et Power 2009). Les quartiers où on peut se déplacer à pied favoriseraient l’acquisition de capital social : leurs résident·e·s seraient plus susceptibles de connaître leurs voisin·e·s, de participer à la vie politique, de faire confiance aux autres et de s’engager socialement (Leyden 2003, Reynold et al. 2010, van den Berg et al. 2017) : autant d’éléments qui améliorent la qualité de vie (Rogers et al. 2011). Aussi, Berke et al (2007) ont identifié une association significative entre la « marchabilité » d’un quartier et les symptômes dépressifs chez les hommes plus âgés (pas chez les femmes), la « marchabilité » limitant le risque de symptômes. On peut ajouter que l’accès aux espaces verts — en particulier ceux pourvus d’aménagements piétons et cyclables — a été associé à l’amélioration de la santé mentale et de la qualité de vie (de Nazelle et al. 2011). Ces constats se heurtent aux normes habitantes d’appropriation masculine de l’espace public — particulièrement prégnantes dans les quartiers prioritaires (Clair 2008, Lapeyronnie et Courtois, 2008, Oppenchaim 2011, CGET 2016) — qui constituent un frein non négligeable aux mobilités locales des femmes.

Il faut toutefois noter que le rôle de l’environnement urbain dans l’encouragement ou l’inhibition des interactions sociales est très sujet aux controverses (Freeman 2001, du Toit et al. 2007, Wood et al. 2008, Wood et al. 2010, Hanibuchi et al. 2012, Mazumdar et al. 2018, Soleimani et al. 2020). Freeman (2001), par exemple, n’a trouvé aucune preuve que la densité résidentielle était liée aux liens sociaux entre les résident·e·s d’un quartier. De même, Hanibuchi et al. (2012) ont constaté que la « marchabilité », une densité de population plus élevée et la proximité des destinations, ne pouvaient être mises en lien avec les indicateurs du capital social, ce qui a conduit les auteur·rice·s à conclure que le contexte historique d’un quartier peut avoir une importance plus grande que sa simple forme urbaine. Du Toit et al. (2007) et Wood et al. (2010) n’ont pas non plus trouvé de preuves qu’une plus grande facilité de marche dans son quartier impliquait un plus grand degré de sociabilité.

 

Comme nous venons de le voir, les mobilités du quotidien influencent la santé à de multiples niveaux.

Notamment à l’instar des mobilités actives, elles peuvent être sources de bienfaits non négligeables, aussi bien sur le plan de la santé physique, que sur ceux de la santé mentale et sociale. Mais les mobilités peuvent aussi être sources d’accident, de pollution atmosphérique, de nuisances sonores, de stress et d’exclusion sociale.

Le recours au cadre théorique du concept de motilité a permis d’organiser la présentation de la littérature scientifique relative à la santé en lien avec la mobilité de la vie quotidienne. Il a en outre fait preuve de vertus heuristiques pour rendre compte des manifestations sociales et spatiales de ces effets. En fonction de leurs ressources propres et des contextes dans lesquels ils évoluent, les individus ne sont pas égaux pour convertir leurs mobilités en ressources positives pour leur santé.

En outre, ce cadre théorique a permis de mettre en exergue des dimensions sous-étudiées, à savoir les effets sur la santé des mobilités non-pendulaires, des conditions dans les lesquelles les mobilités sont réalisées (météo, promiscuité, congestion, pollution de l’air, bruit, odeurs, etc.), des différentes manières de pratiquer un même mode de déplacement, des potentiels individuels de mobilité (notamment les connaissances, compétences, aspirations, les perceptions et les peurs) et du champ du possible déterminé par les lois/codes en vigueur, par la communication/information disponible, ou encore par la topographie). Par ailleurs, la revue de littérature incite à confronter davantage les pratiques réelles et perçues, en les mettant systématiquement en perspective avec les rapports à la santé et les appartenances sociales et territoriales des individus. Mais surtout, la revue conduit à déplorer le manque de travaux qui posent explicitement la question de l’influence des mobilités quotidiennes sur la santé d’une part (notamment concernant le volet « mentale » et le volet « sociale »), et qui analysent ces influences en termes d’inégalités sociales/territoriales de santé d’autre part.

Nous aurions pu aborder d’autres sujets tels que celui des îlots de chaleur urbains (ICU), qui peuvent être facilités par les infrastructures de transport, ou le sujet des champs électromagnétiques, pouvant être favorisés par les nouvelles technologies de transport. Ces deux élément sont associés à des effets néfastes sur la santé et ont d’ailleurs été pris en compte dans une revue de littérature récente sur la thématique « transport et santé » (Khreis et al. 2019). Mais nous avons estimé que les effets néfastes en question relevaient essentiellement de liens indirects entre mobilité quotidienne et santé.

Enfin, rappelons que nous ne nous sommes intéressés dans cet article qu’aux influences des mobilités quotidiennes sur la santé mais pas à la manière dont la santé influence les mobilités quotidiennes. Cette question est particulièrement d’actualité aujourd’hui, à l’heure où la crise sanitaire que nous vivons (Covid-19) incite les pouvoirs publics à repenser leur politique de mobilité et d’aménagement afin de limiter les risques de contamination par la promotion des modes actifs. Mais les enjeux de l’étude des influences de la santé sur la mobilité dépassent largement ceux de la crise actuelle. À titre d’exemple, si — comme nous l’avons vu — la santé est une incitation majeure à faire du vélo (aussi bien sur les plans physique, mental et social), « l’état de santé » s’avère aussi être l’une des raisons les plus fréquemment citées pour justifier le non-usage du vélo, notamment chez les séniors (Observatoire des mobilités actives 2013, 6T-Bureau de recherche 2020). Pour prendre un autre exemple, on peut se demander si les individus sont plus heureux parce qu’ils se déplacent plus, ou s’ils se déplacent plus parce qu’ils sont plus heureux (Morris et Guerra 2015). Dans la perspective d’étudier ces aspects, on comprend que tout l’enjeu est de parvenir à établir dans quel sens s’opère le rapport de cause à effet, et surtout quels processus sont en jeu, ce qui implique de recourir davantage à des approches qualitatives (qui restent extrêmement minoritaires dans ce champ).

Finalement, tout l’enjeu est de parvenir à étudier comment s’articulent les trois dimensions que recouvrent les mobilités (champ des possibles, potentiels, pratiques effectives) en les mettant en lien avec la manière dont les trois dimensions que recouvre la santé (physique, mentale et sociale) s’articulent.

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Endnotes:
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  2. [2]: #_ftn2
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  4. [4]: #_ftn4
  5. [5]: #_ftn5
  6. [6]: #_ftn6
  7. [7]: #_ftn7
  8. [8]: #_ftn8
  9. [9]: #_ftn9
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